13508 mots, parce que tous les mots du monde n'auraient jamais été suffisant, ni pour vous, ni pour Carmen, ni pour Reo, ni pour les victimes.
Le temps était frais. Une brise légère balayait les allées bondées d'Hiroshima, sous les nuages ternes qui commençaient à apparaître. Debout dans sa jupe jaune, Carmen pointa son doigt levé à côté de sa tête. Le vent venait du nord, l'orage allait tomber. Pas fichue de dégager le passage à ceux qui poussaient dans son dos et qui tapaient sans ménagement ses bras, Carmen posa sa grosse mallette sur la voie pavée en soupirant.
— Papa, les gens sont impolis, se risqua-t-elle à murmurer en étirant ses lombaires.
— Juste des passants fatigués, Carmenita.
Le surnom la fit sourire, et elle relâcha tout son corps d'un coup. Ils venaient de descendre du train, et ses muscles étaient engourdis. D'un coup d'œil habile, elle regarda son père, un grand homme à mèches blondes. Il avait la santé fragile, et ces incessants allers-retours entre Naples et Hiroshima n'étaient pas bons pour son cœur. Carmen tapota le dos de son padre, fronçant les sourcils en le voyant tousser. Il remarqua son air inquiet, frotta la tête de sa fille en souriant.
— Carmenita, ne sois pas soucieuse de mon état. Tout va bien tant que tu vas bien.
Elle lui sourit sans rien dire ; il mentait tellement mal qu'elle n'osait plus le contredire. En se baissant sur le côté, elle ramassa sa serviette et entama sa route, suivie par son géniteur. Il fallait partir vite, les rames se remplissaient avec une rapidité effarante. Heureusement que les gares japonaises étaient à l'extérieur, où on ne s'y retrouverait plus.
La vapeur du train, qui repartait en direction d'Osaka, remplit les poumons de la jeune fille. Il ne faisait pas bon de rester ici, autant aller directement à l'hôtel où ils avaient réservé. Ce n'était pas si loin, juste au milieu de la ville. Leur halte n'était qu'un passage en hâte : les deux compères repartiraient le lendemain à Tokyo, grande capitale que l'on s'amusait à visiter quand l'argent coulait à flot. Carmen connaissait beaucoup d'européens intrigués par le pays du Soleil-Levant, ce qu'ils appelaient "l'exotisme". Il ne fallait pas tant d'études à son actif pour comprendre que le Japon détenait un florilège d'avancées que les occidentaux n'avaient pas.
Carmen aimait cette ville, ses allures de temple enfoui sous la terre. C'était probablement l'endroit où elle préférait aller : à l'inverse, elle ne portait aucune affection à Tokyo. Trop grand, trop peuplé, trop urbain. Ses yeux souffraient de la rigidité des bâtiments, de la totale ressemblance entre une ruelle et une autre. A Hiroshima, il y avait des villages, des ponts et des rivières que l'on pouvait traverser l'été. Naples était faite dans le même bois : des couleurs qui tapaient sa rétine jusqu'à la tombée de la nuit, des dômes et des colonnes qui s'empilaient pour ne former plus qu'un. C'était dans les doux moments de béatitude sensorielle que Carmen repensait à sa chère ville, celle qu'elle avait vu ployer sous la dictature. Elle abaissa son chapeau en sentant une goutte s'écraser sur son front : il fallait rentrer.
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skyfall • Reo Mikage
Fanfic1939, début de la grande guerre. Carmen, fille de Naples, enfant de campagne et victime oubliée d'une guerre trop connue, passe ses douces années dans la nature napolitaine. Jusqu'à ce qu'elle parte au Japon avec son père, laissant derrière elle ce...