Chapitre 18

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                              Keefe
  
   Mon père et moi entrâmes à nouveau dans la voiture, marquant un nouveau record de temps passé ensemble. Même si j'aurais préféré ne pas connaître mon père plutôt que vivre ce que j'avais vécu aujourd'hui. Vous voyez les cauchemars ? Les monstres qui semblent surgir des murs  pour vous emmener avec eux ? Vos parents qui, lorsque vous êtes jeune, viennent vous réconforter ? Ce schéma n'existait pas au sein de ma famille. Et pour cause, mes parents étaient les monstres m'entraînant dans les abysses.

   Je me souviens d'un de mes anniversaires. Celui de mes sept ans. Le matin, avant d'aller à l'école, personne ne m'avait témoigné le moindre signe d'affection : mon chocolat chaud était glacé, ma tartine à moitié tartinée, mes vêtements jetés à la va-vite sur mon lit, mon cartable loin d'être prêt et, surtout, mes parents déjà partis.

   C'était le père de Fitz, Alden Vacker, qui devait me déposer devant l'école primaire en compagnie de son fils. Je me rappelle avoir attendu leur arrivée sous la pluie. Mes larmes se mélangeaient avec l'eau qui coulait sur mon visage. Lorsque la voiture des Vacker était enfin arrivée, j'avais eu une montée d'espoir. Ces gens qui me semblaient si lumineux ne pouvaient que me réconforter. Or, ils ne connaissaient pas la date de mon anniversaire. Je n'en voulais pas à Fitz, à notre âge, nous ne retenions pas ce genre de chose. Quant à Alden, c'était un adulte avec une montagne de travail.

   À l'école, personne ne me sourit à l'exception de Fitz. Je finis donc la journée d'une humeur morose. Ma mère était censée venir me chercher. Aux côtés de la maîtresse, je l'attendis donc devant le portail de l'école. Au bout d'un bon quart d'heure, nous fûmes obligés de rentrer à l'intérieur. Nous nous rendîmes chez la directrice pour qu'elle appelle mes parents. Ils ne répondirent pas. Je voyais bien les regards embêtés que me jetaient les adultes. Après deux heures d'attente, alors que nous commencions à perdre espoir, ma mère arriva. Sans un remerciement envers le personnel enseignant, elle me prit par la main et me traîna jusqu'à la voiture.

   Je n'ai donc jamais eu l'occasion de fêter l'anniversaire de mes sept ans.

   Mon père se racla la gorge, me ramenant à la réalité.

— Je...comprendrais si tu voulais rester dans ta nouvelle chambre pour le reste de la journée, se força-t-il à dire.
  
   J'esquissai un sourire crispé.

— Non.

   Mon père cligna des yeux, interloqué.

— Non ?

    Je soupirai, j'avais l'impression d'un dialogue de sourds. La communication n'était visiblement pas notre fort, à mon père et moi.

— J'irai en classe.

   Mon père soupira à son tour, plus las qu'exaspéré.

— Si tel est ton choix...

   La suite du trajet se fit dans le silence complet, comme à notre habitude.

   Je voulais retourner en cours. Égoïstement, j'espérais que mes amis me réconforteraient. Surtout Sophie. Sophie. Je pensais, non, je savais qu'elle m'aiderait à aller mieux. Rien que sa présence suffirait. Oui voilà, je la verrai et tous les problèmes du monde cesseront de me tourmenter.

   Je passai le reste de la route affalé sur mon siège, pensant aux yeux de Sophie, à ses cheveux, à ses mains et même à son drôle de tic.

   La voiture frêna, me réveillant d'un rêve lointain.

   Je détachai ma ceinture pour vite rejoindre celle que, je n'allais pas me le cacher, j'aimais. Mais mon père ressentit le besoin d'ajouter quelque chose.

Blue Eyes - Une Histoire SokeefeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant