Chapitre 1

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Il y a 15 ans

Protège-toi des autres


- Arrêter ! je hurle, recroquevillée au sol, les mains protégeant quelques parties de ma tête. Arrêter, arrêter, arrêter je vous en prie !

Mais personne ne s'arrête. Les coups redoublent, me coupant parfois la respiration lorsque les coups sont engendrés dans mon abdomen. Je vais surement encore avoir des bleus sur le corps. Tant que ça ne touche pas mon visage, ça me va. De toute façon je n'ai pas le choix, je dois accepter mon sort.

- Alors Stacy, tu ne veux toujours pas ouvrir ta gueule ?

Non, je ne veux rien dire. Doucement, je retire les mains de mon visage pour lever légèrement la tête vers eux. Quatre garçons et trois filles sont autour de moi depuis une bonne quinzaine de minutes. J'ai l'impression que le temps s'est arrêtée, que je vais rester au sol, en boule, jusqu'à ce que la nuit tombe, qu'ils ne vont jamais me permettre de m'en aller. Le pire dans tout ça, c'est qu'aucun surveillant ne les voie faire. Aucun élève ne peut témoigner contre cette vague de haine dont je suis habituée à recevoir. Certains d'entre eux sont plus âgés que moi. Alors que j'ai 11 ans, l'un des garçons présents doit en avoir 14. C'est lui qui su où me trouver. C'est toujours lui qui dirige les autres. C'est lui mon ennemi principal : Brandon.

Celui-ci se penche légèrement vers moi, un sourire mauvais collé au visage, les mains en appui sur les genoux. Les filles à côté de lui n'ont aucune pitié pour lui, aucun soutien pour moi, et semblent même s'amusée de la situation.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux rentrer voir papa et maman et tout leur raconter ? « Un garçon est méchant avec moi au collège, et je suis tellement faible que je ne sais même pas me défendre », mime-t-il avec une voix plus aiguë, surement en référence avec la mienne.

Une des trois filles, la blonde, chuchote à sa copine à la peau ambré quelques mots qui semblent l'amuser. De mon côté, la douleur des coups est tellement forte que je ressens quelques larmes perler le long de mes joues.

- Regarde, elle pleure ! ricane un autre garçon rouquin, excité à l'idée de me redonner quelques coups avant de s'en aller.

C'est de ma faute. Je n'aurais jamais dû passé par ce chemin toute seule. Je savais bien qu'ils me feraient une embuscade un jour ou l'autre, à force de toujours passé par ici. Etant à l'heure du petit déjeuné, j'ai voulu me diriger vers les toilettes à l'arrière du bâtiment, afin de retrouver le seul endroit où personne ne peut me faire du mal : les toilettes. J'y vais chaque midi depuis que ma seule amie, Paola, à décidé que trainer avec moi lui apportait plus de problèmes qu'autre chose. C'était la seule personne avec qui je pouvais me sentir apprécier ici, la seule qui semblait me comprendre. Mais il a fallu que les populaires de mon collègue aillent lui glisser quelques mots pour que le lendemain matin, elle vienne me voir avant les cours pour me dire elle et moi, c'était fini. Depuis, je suis seule, face à la haine de ce groupe d'élève qui ont comme activité principale de me martyriser. Voilà plusieurs mois qu'ils me terrorisent.

Au début, ça allait. C'était quelques petits mots dans le genre : idiote, bouffonne, weirdo. Puis, ils ont commencé à me tirer les cheveux, me faisant de plus en plus mal, m'arrachant de plus en plus de cheveux. Et puis, une fois, alors que je me rendais à la bibliothèque dans le bâtiment parallèle à notre bâtiment d'étude, ils m'ont attrapé. Je n'ai pas trop compris ce qu'il se passait à ce moment. Comment ils ont su où me trouver, à ce moment précis de la journée, alors que tout le monde était censé avoir cours. Mais ils ont réussi. Ils m'ont plaqué au sol, et les premiers coups ont débuté. J'ai compris comment tout cela était arrivé seulement lorsque j'ai vu Paola, les joues baignées de larmes, à quelques pas du groupe qui était en train de me tabasser. C'était elle qui leur avait renseigné mon emploi du temps. Mais je ne lui en ai pas voulu. Qu'est-ce qu'un enfant de 11 ans pourrait faire pour se faire accepter au sein d'une fosse aux lions ?

Lorsque je suis rentrée chez moi, j'ai dû expliquer à mes parents que j'avais chuté d'un vélo lors d'une course avec une amie, en citant Paola d'une voix calme. Si j'avais pleuré devant eux, je savais qu'ils ne m'auraient pas cru. Ils m'auraient posé plus de questions et je leur aurais tout raconté. Mais si j'avais fait ça, les personnes de mon collège m'auraient encore plus détesté et ça aurait été un enfer d'aller à l'école. Alors je n'ai rien fait et rien dit. Comme dit Brandon, j'ai fermé ma gueule. C'était la bonne décision, n'est-ce pas ?

Et aujourd'hui, me revoilà. Au sol. Avec eux autour de moi. Plus le temps passe, plus je me demande si mon dieu à moi ne serait pas Hadès, puisque le nombre de fois que j'ai prié pour que tout ça s'arrête ne peut plus se compter sur les doigts de mes deux mains.

- Elle en a peut-être eu assez non ? demande la dernière fille, plus gênée d'appartenir à ce groupe de voyou qu'autre chose.

- Tu penses Emma ? Moi, je ne suis pas sûr. Regarde, son visage n'a pas une seule égratignure, lui répond Brandon en désignant mon visage que j'ai pris soin de protégé.

Je les regarde tour à tour, les lèvres tremblotantes avec un regard de pitié et de supplice braqué sur eux.

- Ne me regarde pas comme ça, sale merde.

Je n'ai même pas le temps de réfléchir à presser mes mains sur mon visage que son pied atterri directement dans ma mâchoire, me faisant hurler de douleur. Cette fois, je ne les regarde plus, je pense simplement à cette douleur qui se classe dans l'une des pires douleurs que je n'ai jamais eu. Alors que je les entends s'esclaffer avec une fière allure du geste qui vient d'être fait, j'en profite pour placer ma main sur ma mâchoire. A peine touchée que celle-ci me fait haletée. De quelques doigts, je la touche doucement, m'attendant à sentir une plaie ouverte. Mais en fait, c'est pire que ça. Ma mâchoire, d'origine arquée dans un angle normal se trouve désormais ondulée d'une manière assez suspecte. L'angle dans lequel elle se trouve me donne presque une crise de panique. Il m'est impossible d'ouvrir la bouche. Ma tête commence à tourner. Avec la brutalité de la haine que Brandon peut avoir envers moi, celui-ci vient de me briser la mâchoire. Des larmes coulent abondamment le long de mes joues et c'est comme si le temps se plaçait sur pause le temps que mon supplice s'achève. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire à l'univers pour avoir de tel retombé ?

- Aller tout le monde, on y v a avant que le proviseur ne se pointe.

Je ne pourrais dire de quel personne cette décision de fuite provient mais je m'en fiche. Au stade où j'en suis, la seule chose que je veux, c'est qu'ils s'en aillent, tous. Qu'ils ne reviennent plus jamais me voir et qu'ils me laissent tranquille.

Une fois le brouhaha terminé, la douleur est toujours présente, me lançant de plus en plus ardemment. Je tente de me redresser sur une main mais ma tête tourne, m'amenant presque à voir les étoiles, ou les petits éléphants roses, je ne sais pas. Il faut que je fasse quelque chose. Je ne peux pas attendre ici, au sol, seule, alors que je sais que près de cinq pour cent du collège aurait une chance de passer ici. Un professeur ne passerait pas ici. Il n'y a aucun élève à s'aventurer ici, surtout pour y trainer. C'est un endroit de passage occasionnel. Alors je dois me débrouiller, comme je l'ai toujours fait.

Ma paume se pose sur le bitume, alors que mon autre main tremblotante se réfugie sur ma mâchoire, sans trop la toucher. Je dois la remettre en place. Au moins ça. Peut-être que finalement elle n'est pas vraiment brisée mais simplement déplacée. Si c'est la deuxième option, j'aurais de la chance. Si c'est la première option, je serais malchanceuse. Avec le plus courage qu'il m'a été permis de trouver, je place une main sur l'angle déformé de ma mâchoire, une autre sur la bosse débutant son développement de l'autre côté de mon visage. Je laisse quelques larmes dévaler mes joues, suivi de sanglot de supplice. Puis, je prends une inspiration profonde en comptant jusque trois et...

Un hurlement.

De douleur.

De pure douleur.

Mes mains sont toujours plaquées à mon visage, mais maintenant que ma bouche peut légèrement s'entre-ouvrir, des sons très aigus en ressorte, sans que je ne tente de les étouffer. J'ai si mal. C'est si douloureux.

Maintenant, il faut que je me déplace. Je dois aller voir le secrétariat pour être amenée aux urgences. Je ne dois pas aller voir le proviseur, sinon ils vont encore s'en prendre à moi. Ils vont encore me frapper, et je ne veux plus que ça arrive, jamais. Alors je me relève, essayant de placer un pied devant l'autre, ressentant chaque pas dans ma mâchoire comme si un marteau fendait l'air chaque seconde avant de rentrer en collision avec celle-ci.

Finalement, je crois bien que ma mâchoire s'est brisée.

Coupable ou Innocente ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant