Chapitre 1

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Las Vegas 17 novembre 2021

Allongé sur la couverture plus que suspecte qui recouvre le lit branlant de ma chambre d'hôtel miteuse, je fixe le plafond. Je répète constamment la journée sans pouvoir m'en empêcher. Il y a parfois des jours où l'on se dit que l'on ferait mieux de rester couché et aujourd'hui ne fait pas exception. Je n'ai plus souvenir de la dernière fois que j'ai passé une bonne journée ! Ma vie n'est qu'une succession de jours gris et sombres. Je me lève à six heures, je vais travailler deux heures à livrer les journaux, je file à la fac pour suivre mes cours, vers 16 h je pars au restaurant où je fais le service jusqu'à parfois une ou deux heures du matin, je me couche et le lendemain je recommence le même manège. Tel un cauchemar ou une journée sans fin, elle se répète inlassablement, ne divergeant que lorsque qu'une énième catastrophe me tombe dessus. Il m'arrive de vouloir fermer les yeux et me réveiller six ans plus tôt, avant que ma vie ne dégénère. Renouer avec l'insouciance qui me caractérisait à l'époque, pouvoir rire, sortir avec mes amis, avoir du temps pour moi...

Mais cette vie-là est derrière moi et elle ne reviendra pas. Quand mon père a perdu son boulot à la suite d'une dépression, il s'est mis à boire, à jouer, à parier et notre vie de famille a basculé… Je suis devenu adulte bien trop vite, j'ai dû m'occuper de ma petite sœur d'à peine six mois pendant que ma mère jongler avec deux boulots pour pouvoir payer les factures et nous offrir un repas décent par jour... et lui... il restait là, assis dans son fauteuil à boire, à miser sur les matchs de foot de l'argent que l'on n'avait pas, et à boire encore jusqu'à tomber dans l'inconscience. Deux ans plus tard, lorsqu'il a quitté les lieux, je n'ai rien ressenti d'autre que du soulagement. Cependant, lorsque ses créanciers sont venus frapper à notre porte, la haine s'est infiltrée en moi. Je me suis retrouvé contraint à dix-sept ans de trouver du travail en plus de mes cours, pour qu'on puisse garder la maison. Depuis lors, nous vivons au jour le jour, payant les factures uniquement quand c'est possible, essayant de survivre jusqu'à la prochaine paie...

J'étouffe dans cette chambre sordide, j'ai besoin d'air alors je me lève puis je quitte ce qui doit être le pire hôtel de la ville, mais vu mes finances, c'est le seul que je pouvais m'offrir. En déambulant parmi les passants, j'entends le flux ininterrompu des voitures et le bruit presque assourdissant de la foule. Le Strip ! L'avenue la plus célèbre de Las Vegas...

De jour comme de nuit, elle engendre une foule immense. Quel que soit l'endroit où vous regardez, il y a toujours quelque chose à admirer. Entre les casinos, tous plus beaux et luxueux que les autres, qui s'enchaînent sans fin, et des milliers de commerces et de néons qui clignotent.
Sans parler de tous les artistes de rue qui cherchent désespérément à se démarquer, pour réussir à récolter quelques dollars, tout est fait pour en mettre plein la vue aux touristes et les plonger dans l'immersion totale du luxe et de la démesure. Le paradis des joueurs du monde entier et des fêtards à la recherche de sensations fortes. J'aimerais être comme n'importe lequel d'entre eux, j'aimerais pouvoir m'extasier devant toute la beauté qu'offre la ville, pouvoir rire devant les mimes ou les artistes déguisés en super héros et avoir l'insouciance des gens de mon âge qui viennent à Vegas pour prendre une cuite, jouer et passer leur nuit dans des clubs de strip-tease…
Pourtant, ce n'est pas le cas. J'erre l'âme en peine, je ne ressens aucune autre émotion qu'une profonde tristesse. Je suis arrivé seul ce matin par avion, et je repars seul demain après-midi également. Enfin, pas tout à fait. Je vais repartir avec les cendres de mon père. Cela fait plus de quatre ans que je ne l'ai pas vu. Il a foutu le camp deux jours après mon dix-septième anniversaire, et me voilà à vingt-et-un ans, obligé de venir à Las Vegas pour identifier son corps...

Lorsque la police nous a contactés pour nous informer du potentiel décès de mon père, cela ne m'a pas trop étonné, je crois même que je m'y étais préparé depuis des années. Quand votre père est alcoolique et joueur compulsif, vous vous attendez à une fin prématurée, que ce soit par alcool ou par d'autres créanciers et bookmakers du pays. J'avais beau m'y attendre mais  entendre de la bouche d'un policier qu'il était mort ,puis  le voir allongé sur cette table mortuaire, c'était autre chose...Je suis content d'être venu à la place de ma mère. Je ne suis pas certain qu'elle aurait pu supporter cette dernière image de lui. Amaigri à tel point que ses côtes etait visibles, avec pratiquement plus de cheveux ni de dents, et le teint jauni par la cirrhose qui a affecté sa peau. Nous avons passé quatre ans sans le voir, sans avoir de nouvelles, à le haïr pour nous avoir abandonnés, ma mère, ma sœur et moi.

HOPElessOù les histoires vivent. Découvrez maintenant