Alpha Ophis : Tome 2

Lieu Sûr

Giulia aimait bien ces moments où elle sentait l'adrénaline monter en elle. Autrefois, elle cherchait à se faire ressentir ce rush de bien de façons douteuses. Désormais, elle savait créer cela dans sa vie dans un cadre sécure qui n'entrainait aucune mise en danger de sa part. Bien que cela était toujours un peu anxiogène de prendre la parole en public, Giulia appréciait donc ces instants où elle devait asseoir sa position clinique et théorique en tant que psychologue, position qui était novatrice, et de fait, largement discutée dans la communauté des sorciers. Giulia était parvenue à redonner un sens à sa vie alors que si peu de temps avant, elle n'avait plus rien, ne ressentait que souffrance, et ne cherchait qu'échappatoire. Aujourd'hui, Giulia était une femme qui savait ce qu'elle voulait, qui elle était, ce pour quoi elle se battait, et qui avait redécouvert en elle la force de vie profonde qui lui permettait de faire face à des montagnes et de les abattre, les unes après les autres. Elle avait dû se battre pour en être là où elle en était professionnellement désormais : le Ministère de la Magie avait eu beaucoup de mal à accepter les conséquences psychologiques de la Guerre, comme si cela signifiait que les sorciers étaient faibles. Elle avait dû tenir maintes et maintes réunions durant lesquelles elle était seule face à un nombre toujours grandissant de convives. Elle avait su s'imposer et ensuite elle avait su découvrir, travailler, perfectionner, puis sensibiliser à la psychothérapie révolutionnaire qu'elle avait elle-même forgée. Elle l'avait nommée la Thérapie de Reconnexion Intérieure, souvent abrégée en TRI. Parfois, comme en cette matinée, elle se rendait à de plus ou moins grandes conférences de presse pour parler de cette psychothérapie qu'elle avait inventée, et qui faisait de plus en plus parler d'elle, que cela soit en bien ou en mauvais.

- Je vous demande donc d'accueillir chaleureusement Madame Giulia Zabini, psychologue et psychothérapeute, créatrice, directrice et psychologue en chef du pôle de consultation, recherche et formation en santé mentale du Ministère de la Magie d'Angleterre, présenta l'animateur de la conférence.

Giulia prit place sur l'estrade face à ce qu'elle devina être une cinquantaine de personnes. Son public était composé de confrères, de médecins, d'infirmiers et de scientifiques divers, ainsi que de sorciers n'exerçant point dans le milieu médical, mais se montrant curieux de ce que proposai Giulia. Ces quelques heures de conférence avaient pour but de répondre aux questions du public sur ses pratiques, ce qu'elle acceptait toujours volontairement de faire. Elle aussi, quand elle découvrait de nouvelles choses, elle avait plein de questions à poser avant de pouvoir se faire son propre avis. Elle remercia l'animateur qui lui demanda, en introduction, d'expliquer ce qu'était la psychothérapie TRI, qu'elle avait inventée.

- La Thérapie de Reconnexion Intérieure s'est imposée à moi au fur et à mesure que je cherchais de plus amples informations sur le fonctionnement psychologique de chacun d'entre nous, commença-t-elle. Voyez-vous, je n'étais pas très satisfaite du modèle existant qui consistait soit à se faire assommer par des potions diverses ne réglant en rien le problème de fond, bien que parfois utiles entendons-nous bien, soit à discuter des heures, des mois, voire des années durant, sans que finalement grand-chose ne se passe. Je pense que nous pouvons en plus nous accorder pour dire qu'avant cela, le Ministère ne faisait pas grand-chose pour la santé mentale de ses sorciers, considérant de quelconques difficultés psychiques comme une faiblesse indigne de notre nature, osa-t-elle, ce qui n'aida bien évidemment pas le développement des recherches, des formations et des prises en charges psychologiques du monde sorcier. Je dois reconnaitre que j'ai ainsi beaucoup appris à la fois des moldus, qui eux sont plus ouverts sur la question, ainsi que de ma pratique professionnelle. Il m'est très rapidement apparu comme évident que les événements que nous traversons dans nos vies façonnent la personne que nous devenons plus tard, et ce dès notre enfance, et je me suis également très vite rendu compte que lorsque mes patients et moi trouvions le nœud du problème, le souvenir originel qui avait finit par provoquer le développement du ou des symptômes handicapant le patient, alors il était beaucoup plus simple de le régler. J'ai pu observer, dans ma pratique, que lorsque je trouvais ce souvenir originel, le traumatisme dirons-nous, et que mes patients m'en parlaient, ce souvenir et toute la charge émotionnelle négative qui allait avec continuaient de submerger les patients, comme si ce n'était pas vraiment un souvenir du passé, mais plutôt comme s'il continuait d'avoir une incidence omniprésente des années plus tard encore. En me renseignant sur de multiples études du cerveau sorcier et en menant mes propres recherches, j'ai découvert qu'en effet, certains souvenirs dits traumatiques laissent des traces jusque dans notre cerveau : ces souvenirs ne sont pas digérés. Voyez-vous, il peut y avoir des événements négatifs dans votre vie dont vous pouvez parler au passé et sans ressentir toutes les émotions négatives qui les accompagnent. Vous avez digéré cette expérience, elle appartient au passé, et vous êtes au clair avec cela. Mais il existe des expériences, des choses douloureuses qui entraînent peut-être l'augmentation de votre rythme cardiaque lorsque vous en parlez, peut-être que les larmes vous montent aux yeux et que vous vous rendez compte en en parlant que ce souvenir vous touche encore beaucoup. C'est bien plus technique que cela mais globalement, nous dirons que ce souvenir-là n'est pas digéré. Il porte toujours en lui, et dans votre cerveau, toutes les traces neurologiques et sensorielles de la douleur. Et lorsque ce souvenir est activé dans ce cerveau, vous retournez dans le passé, et vous avez les mêmes peurs, les mêmes douleurs, et les mêmes peines qu'à l'époque. Il m'est donc apparu évident que ma mission était d'aider les sorciers à digérer ces souvenirs en question, et c'est ce que me permet de faire la psychothérapie TIR. Lorsque je demande à mon patient de se reconnecter à ce souvenir une fois que nous l'avons identifié ensemble, les circuits neuronaux de cette expérience sont activés, et c'est alors qu'avec la magie je peux aider ces réseaux à se décharger des charges émotionnelles négatives intenses qui y sont associées. Au final, le patient se souvient parfaitement de ce qu'il s'est passé, et cela reste un événement négatif dans sa vie, mais c'est un événement du passé qui ne contrôle plus son présent. Et la plupart du temps, si nous avons bien identifié le bon souvenir, alors les symptômes disparaissent. Sinon, il faut continuer de chercher, et évidemment, il peut y avoir bien plus d'un souvenir traumatique.