Chapitre 2 : Ecchymoses

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16 ans plus tard...


Elle flottait au dessus de la ville, dans un ciel bleu sans aucun nuage à l'horizon, elle réalisa quelques pirouettes tout en continuant de planer avec une immense sensation de paix qui lui avait envahi la poitrine. Elle se sentait bien, elle se sentait vivante, elle se sentait elle même.

- M'man ?


Que venait faire cette voix dans son paradis ? D'où venait elle ? Ca ne se faisait pas d'interrompre les gens pendant qu'ils volaient, enfin ! Elle continua son voyage, ignorant cette voix qui se fit plus insistante :

- M'maaaan ! Réveille toi faut qu'tu m'emmènes au lycée !


Elle sentit le haut de son corps se mettre à trembler, comme si quelqu'un la secouait et, peu à peu, son ciel bleu s'effaça pour laisser place au visage à la mine exaspérée de Théa. Morgane poussa un grognement et abandonna définitivement l'idée de se replonger dans son rêve paradisiaque.

- Mmmh ? Qu'est s'qu'y s'passe ?, grommela t-elle l'esprit encore embrumé

- M'man, faut qu' j'aille au lycée !

- Oh putain !, fit elle en se levant brusquement du lit, on est en retard ?

- Bah ouais, enfin on le sera dans dix minutes, quoi...


Bien réveillée, cette fois ci, Morgane descendit quatre à quatre les marches des escaliers, toujours en pyjama, pour constater que sa fille avait déjà du déjeuner. Rassurée de ce côté là, elle attrapa sur l'étendoir à linge une paire de chaussettes et remonta dans sa chambre en courant. Elle ouvrit ensuite son armoire et en avisa le contenu, son regard perdant comme toujours un peu de son éclat, des hauts de diverses couleurs unies, des jeans noirs, gris ou de différentes teintes de bleus tous très classiques et une dizaine de robes élégantes mais, à ses yeux, sans aucune âme. Autant de vêtements qu'elle avait acheté ces dernières années pour faire plaisir à Romain qui la trouvait "trop vieille pour porter des tenues excentriques". Malgré son amour sans bornes pour son petit ami, elle regrettait chaque jours un peu plus ses imprimés léopards, doudounes multicolores et robes moulantes reléguées au rang de souvenirs dans des cartons stockés au grenier. Chassant rapidement ses idées noires, elle attrapa un jean bleu ciel et un pull rose bonbon, agrémentant la tenue d'une paire de boucles d'oreilles discrètes. Fin prête, elle descendit les escaliers, enfilant au passage une paire de bottines brunes, cadeau de Romain, attrapa ses clés de voiture et démarra en trombes vers le lycée de Théa. Une fois parvenue à destination, non sans avoir grillé quelques feux rouges au passage, elle déposa sa fille devant l'entrée au moment même où la sonnerie retentit.

- Bisous ma chérie je t'aime !, lança t-elle au moment où la portière de la voiture claqua.


Avisant l'heure, elle rentra chez elle à bonne allure, prit un petit déjeuner express, s'attacha les cheveux puis prit la direction du supermarché où elle travaillait comme caissière. La matinée, puis la journée, furent d'une lenteur effroyable, comme tous les jours, la belle rousse se retenant en permanence pour ne pas secouer les petits vieux qui venaient faire leurs courses afin qu'ils déposent leurs articles un tantinet plus vite sur le tapis, que les plus jeunes arrêtent de la reluquer comme si elle était un morceau de viande ou un extraterrestre et de la draguer, parfois lourdement. Dans les trois mois qui avaient précédé, elle s'était faite virer dix fois et avait démissionné six fois sur les dix-sept emplois qu'elle avait réussi à obtenir, le dix-septième étant ce poste de caissière. Elle essayait donc de toutes ses forces, même si elle commençait sérieusement à manquer de patience, de préserver ce poste qu'elle avait depuis déjà trois jours. Lorsqu'enfin, aux alentours de 19h, elle put enfin quitter la petite supérette, elle poussa un long soupir de soulagement, savourant sa liberté presque retrouvée et rentra chez elle. A sa plus grande surprise, la voiture de Romain ne l'attendait pas dans l'allée, alors qu'il était sensé terminer son travail à 16H30. Un peu inquiète, elle entra dans la maison et trouva sa fille dans le salon, confortablement installée dans le canapé, un paquet de chips au cheddar à la main.

- Salut m'man, lança t-elle en la voyant entrer, t'en veux ?


Piochant un poignée de chips dans le sachet qu'on lui tendait, Morgane demanda entre deux bouchées :

- Mmmh, au fait, il est où ton père ?

- Parti, fin il m'a ramenée du bahut puis il m'a dit qu'il avait un truc a faire pour le taff et il s'est tiré.

- Ah ouais ?

- Ouais, mais c'est pas grave, on s'en fout, c'est toujours plus fun quand il est pas là.

- Théa..., soupira Morgane

- Quoi ?, se plaignit la concernée, c'est vrai !

- Parle pas comme ça de ton père s'teuplait.


Levant les yeux au ciel, sa fille se concentra à nouveau sur sa série télé sans se préoccuper plus longtemps de sa mère qui se dirigea vers l'escalier, décidant de monter dans sa chambre pour enfiler une tenue plus confortable. Peu désireuse de porter encore une fois une tenue aux couleurs fades alors qu'elle était épuisée par sa journée de travail, Morgane sortit d'un tiroir de son armoire un long tee-shirt bleu pâle avec des imprimés loup, un bas de jogging rouge et enfila par dessus un long gilet aux motifs de pelage de tigre, laissant la sensation agréable de se retrouver enfin elle même l'envahir. Elle quitta ensuite ses boucles d'oreille et les rangea dans sa boite à bijoux aux côtés de celles, plus grosses et plus voyantes, qu'elle n'utilisait presque plus. Romain la tannait depuis quelques temps pour qu'elle les donne à une association ou les vende, avançant qu'elle était mère et adulte à présent, qu'elle n'en avait plus l'utilité et que Théa ne porterait sans doute jamais ce genre de choses. Bien qu'en un sens, il devait avoir raison, Morgane n'arrivait pas à se résoudre à vendre ce qu'elle considérait comme les vêtements les plus stylés de sa garde robe, ne serait-ce que pour continuer à les voir de temps en temps, au milieu de toutes les tenues uniformes et classiques qui composaient les trois quarts de son armoire à présent. Elle chassa une fois de plus ses réflexions que Romain aurait sûrement jugées immatures de son esprit et redescendit les escaliers pour s'installer sur le canapé avec Théa. En passant devant la porte d'entrée, elle la vit s'ouvrir et Romain apparut derrière, le visage, et les bras couverts d'ecchymoses, le nez ensanglanté, un œil au beurre noir, d'affreuses tâches de sang séchés maculant ses vêtements.

Un rayon de soleilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant