La cité

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— Ne vous approchez pas plus !

Nimélys se tenait à un pas de l'ombre des grandes portes de la cité.

— Moi qui croyais que vous ne veniez que pour peindre ces maudits remparts... vous m'avez bien eu.

Il cracha par terre dans un râle si dégoutant que Nimélys aurait préféré être sourde. Il feignait la surprise, pour qu'elle le paie plus. Les marchands ne connaissaient que l'argent, et celui-ci plus particulièrement.

— Vous m'avez trompé, arnaqué, répéta-t-il en faisant de grands gestes qui balayaient l'air aride du désert.

Il pensait sûrement qu'en lui montrant son mécontentement, elle accepterait de lâcher quelques pièces supplémentaires.

Et il avait raison.

Il ronchonna à nouveau dans sa barbe :

— Vous me l'avez dit de vous-même, un trajet jusqu'à Minerve, deux jours à attendre le temps que vous remplissiez votre toile de peinture, puis nous devions repartir (Plus il parlait, plus il haussait le ton) que voulez-vous réellement ? Me tuer à cause de la malédiction ?

Nimélys ne daigna pas se retourner vers lui. Elle observait les imposants remparts d'une centaine de mètres de haut converger vers un ouvrage en bois tel qu'elle n'en avait jamais vu.

— Le double du prix, oui, le double (elle l'entendit maugréer, se parler à lui-même, puis revenir à la charge en s'approchant d'elle) c'est bien le prix que ça vaut de se mettre autant en danger, à la merci de la malédiction !

La malédiction. Un mot qui charriait beaucoup de peur. Une histoire inventée par des guides et des marchands pour soutirer de l'argent aux plus naïfs.

Nimélys n'était pas dupe, elle connaissait la vérité derrière ces portes immenses, mais elle avait également besoin de ses compétences. Sans gardien pour veiller sur les chameaux, quelqu'un d'assez téméraire pour s'approcher lui subtiliserait dans la journée ; elle n'aurait plus de moyen de repartir.

— C'est d'accord, souffla-t-elle en se tournant vers Danis.

Son visage était enfermé dans des étoffes sombres. Elle, au contraire, laissait ses cheveux à la merci du vent.

— Mais c'est la dernière fois que tu augmentes ton prix.

Il s'abaissa en signe de respect et du pacte nouvellement conclu. Elle sut qu'il souriait derrière son voile.

— Vous avez ma parole, mademoiselle. Je vais monter le camp pour la nuit.

Il lui tourna le dos et repartit vers le campement, installé sur un plateau rocheux entre deux dunes protectrices. Nimélys se doutait que Danis jubilait de l'avoir extorquée, mais qu'importe, sa quête nécessitait de telles dépenses.

Les murs de la cité flamboyaient. Des statues géantes avaient été construites entre chaque tour de guet. Des monarques assez puissants avaient érigé ces statues millénaires pour que le monde se souvienne d'eux. La seule trace de leur passage dans ce désert.

Sauf que le monde les avait oubliés. Aucun historien ne parvenait à deviner leur identité.

Ils n'avaient pas anticipé la chute de Minerve. La cité qui abritait autrefois de vastes richesses n'était plus que l'ombre d'elle-même. Lorsque ses portes s'étaient éternellement refermées, leurs souvenirs s'étaient retrouvés piégés à jamais.

Demain, Nimélys pénétrerait à l'intérieur.

— Vous êtes têtue comme un âne !

Nimélys déposait des buches dans les braises. Danis l'observait, incrédule.

— Vous m'avez payé pour cette tente. Je me suis cassé le dos à la monter, et voilà que vous préférez dormir près du feu. Que cherchez-vous à faire ici, mourir de froid ? Vous faire piquer par un scorpion ?

— Je dors ici cette nuit. Tâche d'alimenter le feu dans la nuit si les flammes faiblissent, il ne doit pas s'éteindre.

Il l'observa un instant, le visage découvert cette fois-ci, sa bouche entrouverte ceinturée par une barbe brune clairsemée.

— Très bien, très bien ! répondit Danis en frappant des mains.

Nimélys sentit qu'une question lui brûlait les lèvres à son intonation. Sa voix ne s'était pas étouffée à la fin de sa phrase. Elle l'observa ramasser quelques bûches, les disposer près du feu, lui jeter un regard en coin, puis s'approcher à nouveau. Son visage s'étirait en une grimace malodorante.

— Si vous ne dormez pas dans votre tente, puis-je ? La mienne est plus vétuste, et le couchage fait si mal au dos. L'âge ne m'a pas fait de cadeau, à voyager sans cesse. Et si vous sa-

Nimélys ne l'écoutait plus. Il simulerait tous les malheurs du monde pour arriver à ses fins. Si prévisible.

— Fois, j'ai tellement porté de tentes qu-

Elle le coupa dans son élan.

— Fais comme chez toi, maintenant laisse-moi dormir.

Il la remercia et s'éclipsa derrière les tentures.

Nimélys avait passé des semaines près des bordels et des échoppes de Kachir, la cité plus proche de Minerve, qu'ils pensaient maudite. Elle attirait les touristes des confins du monde et des marchands en avaient tiré avantage pour créer une cité mercantile. Ils y vendaient épices, fourrures, encens, feuilles de thé, mais également des excursions aux abords de Minerve. La plupart d'entre eux ne s'aventuraient qu'à quelques kilomètres de distance. Ils ne croyaient pas à la malédiction, mais cette peur feinte leur permettait d'économiser du temps de trajet et de demander des frais supplémentaires pour les plus courageux. Danis s'était crispé lorsqu'ils s'étaient approchés plus que de raison, et n'avait pas manqué à réclamer son dû.

Elle avait fait tinter plusieurs pièces entre elles dans sa main.

Il n'avait pas pu lui dire non.

Il n'aurait jamais pu le faire.

Danis s'était ruiné en dépensant toutes ses économies dans des maisons de joies en quelques semaines. Nimélys avait épié chacun de ses clients, surveillé chacune de ses ventes. Elle se demandait même s'il n'était pas endetté. Quand elle s'était approchée de lui, un sourire béat de touriste naïf, il s'était frotté les mains.

Elle lui avait proposé assez d'argent pour qu'il puisse continuer sa routine libidineuse, elle sut qu'il n'aurait jamais refusé.

Pour rien au monde.

L'un des chameaux blatéra. Nimélys entendit des bruits de pas, le sable se tasser sous le lourd poids d'un homme avide. Danis jeta une coupole de liquide dans le feu, qui crépita et affola les ombres autour d'eux. Nimélys se releva d'un bond, prête à le tuer.

— Ne refais plus jamais ça, dit-elle en pointant son bras vers lui.

Une odeur de miel lui parvint aux narines.

— Pardon, pardon, mille excuses (il s'abaissa et joignit les paumes de ses deux mains) ce n'est que de l'encens, pour éloigner les mauvais esprits.

— Nous n'avons pas besoin de cela, surveille le feu cette nuit, siffla Nimélys du bout des lèvres.

Danis se retrancha dans sa tente sans un mot, les voiles de l'entrée retombèrent derrière lui.

Nimélys observa les flammes danser. La voix de son frère résonnait son crâne. Il l'avait prévenue plus d'une fois que cette quête était vaine et que seule une âme folle partirait à la poursuite d'une eau magique.

« Un doux rêve, une chimère pour les plus naïfs et un mirage pour les plus voyageurs. »

Elle avait passé des semaines sur la route et attendu encore plus longtemps pour se retrouver ici. Pendant un temps, elle avait fini par le croire, jusqu'à ce qu'elle tombe sur Danis. Il lui avait pris presque la totalité de son argent, mais qu'importe ; la vie de sa grand-mère comptait plus qu'une somme rondelette.

Nimélys rajouta deux nouvelles bûches dans le feu. Elle observa la flamme glisser sur elles en crépitant comme des charbons ardents, puis elle s'endormit, le visage baigné par leurs lueurs.

NimélysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant