Ombres

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Le soleil lui picotait déjà la peau quand elle se réveilla. Nimélys se tordit sur sa couchette et massa son bras engourdi sur lequel elle avait dormi toute la nuit. Le feu s'était éteint, Danis ne l'avait pas alimenté comme elle lui avait demandé.

Son plan avait fonctionné. L'étude de l'astronomie lui avait permis de calculer la courbe du soleil qui se levait maintenant derrière elle et lui réchauffait la nuque. Les défenses de la cité étaient au plus faibles, malgré qu'une tache d'ombre persistait sur le sable. Les plus érudits n'ayant jamais pu l'expliquer, ils l'avaient associé à la malédiction.

Elle avait une chance.

Nimélys grignota quelques dattes, but quelques goulées d'eau, et attacha ses cheveux en un chignon solide. Les dromadaires dormaient d'un œil, allongés sur leurs quatre pattes.

Danis garderait le camp deux jours, un temps bien plus que suffisant pour lui permettre d'aller récupérer ce qu'elle cherchait. Elle fouilla dans l'un de ses bagages et en tira une gourde en cuir ainsi qu'un nécessaire à feu, qu'elle accrocha à sa ceinture.

Il ne lui manquait plus qu'à rassembler son courage.

Elle foula le sable jusqu'à l'ombre des remparts. Il y avait une centaine de mètres d'obscurité, tout au plus, ce qui était une limite raisonnable pour qu'elle puisse atteigne les portes. Les légendes racontaient qu'il existait un mécanisme simple pour ouvrir les battants, mais qu'il demeurait invisible au commun des mortels.

Elle espérait qu'il daigne fonctionner, après ces milliers d'années à rester inanimé.

Ses mains s'illuminèrent d'un éclat plus pur que le soleil encore. Elle sentait le feu fuser à travers ses veines, sa magie couvrir ses bras d'or. Elle inspira deux fois, comme le lui avait appris sa grand-mère, puis elle s'élança.

La pression de l'obscurité lui frappa le visage et lui enserra les cotes. Les ombres se défendraient férocement.

Elles étaient des adversaires depuis la nuit des temps, et Nimélys n'était pas une gardienne de la paix.

Les premiers ennemis accoururent vers elle. Des silhouettes à l'apparence humaine, aux crocs et aux griffes acérées du même noir obscur que leurs âmes. Elles ne naissaient que pour défendre ce lieu à tout prix.

Nimélys les fendait avec ses bras de lumière. Les ombres trépassaient sous ses coups, mais des vagues inlassables d'assaillants fusaient vers elle. Elles parvinrent à l'entourer, et Nimélys tournoya dans une danse mortelle pour se libérer et avancer de quelques mètres vers la porte.

Ses bras brûlaient d'effort, les muscles de ses épaules n'en pouvaient plus à force de mouvements. Ses cuisses commençaient à se durcir, elle crut qu'un instant qu'elles se crisperaient.

Un couloir se dégagea. Il ne lui restait plus que quelques mètres.

Nimélys décolla soudainement le sol et percuta le sable, avant que quelque chose ne la tire en arrière. Une ombre lui avait attrapé le pied. Elle sentit ses ongles transpercer son pantalon, lui lacérer la peau. Nimélys hurla puis la réduisit au silence d'un coup perçant. Elle se releva et élimina les soldats ténébreux accumulés autour d'elles.

Elle était si près du but. Les portes blindées ressemblaient à la limite du monde, d'une apparence immortelle. D'autres silhouettes s'étaient massées devant elle, comme une armée recroquevillée derrière des boucliers. Combien y en avait-il, vingt, trente ?

Elle ne devait pas avoir peur.

Surtout pas.

Elle en élimina une dizaine. Sa sueur s'accumulait sur chaque parcelle de son corps. Elle sentait ses affaires lui coller à la peau, ses aisselles et son entrejambe s'irriter à force des mouvements.

L'armée d'ombres se resserrait autour d'elle.

Nimélys cabra vers l'avant et poussa sur ses cuisses dans un ultime effort. Elle atteignit la porte, fit crisser ses bottes sur le sable.

Nimélys palpa à l'aveugle les gravures d'acier et de bois marqués par le temps, tout en se défendant. Elle crut ne jamais trouver de verrous et mourir plus d'une fois.

Sa main heurta un carré de métal chaud.

Il s'agissait d'une inextinguible chaleur, de la magie ancienne, celle-là même qui illuminait son bras. Nimélys tâta l'encoche, y découvrit un renfoncement en forme de main. Elle y enfonça ses doigts, puis sa paume.

Un bruit terrifiant gronda sous ses pieds, comme si tout le sable autour d'elle était aspiré vers les Enfers Magmatiques. Nimélys crut qu'elle se noierait, mais une vague imposante lui fit prendre de la hauteur. Elle escalada jusqu'au sommet.

Un fin trait éclatant l'aveugla entièrement. Elle couvrit son front d'une main fébrile. Les portes s'ouvraient. Les nuées de gardes autour d'elles reculaient face à la lumière.

Le bruit cessa et les battants de plusieurs mètres de bois d'épaisseur s'immobilisèrent. Nimélys se pétrifia, craintive, alors que le silence s'emparait des lieux.

Le grondement reprit. Les vagues de sable poussées par les portes se mirent à nouveau à confluer vers elle dans un hurlement d'acier maltraité. Nimélys lutta pour ne pas se faire submerger et s'engouffra à l'intérieur. La cité se referma dans un éclat de tonnerre.

Épuisée, le souffle coupé, elle découvrit ce dont elle avait rêvé ces derniers mois.

Des habitations aux murs vétustes s'élevaient en degrés et en escaliers sur plusieurs mètres de haut. Il n'y avait plus âme qui vive, plus d'étoffes qui virevoltaient au vent, de jarres pleines à craquer d'eau et de nourriture.

Tout s'était évaporé.

Seul un léger sifflement animait cette cité à l'agonie.

Les bords de certaines résidences avaient été grignotés et le sable s'était entassé en collines par endroits. Nimélys gravit des escaliers et dévala d'innombrables marches à la recherche de la fontaine qui lui permettrait d'emporter l'eau qui soignerait sa grand-mère. Elle découvrit des pièces dépourvues de toute décoration, se faufila dans ce qui ressemblait à d'anciens jardins et dont seuls des fragments de poteaux de bois demeuraient.

Sa grand-mère lui avait narré l'histoire de l'antique civilisation qui avait habité Minerve. Des marchands, joaillers, trafiquants d'animaux sauvages en quête de richesse. Ils avaient joui d'affaires lucratives avant de disparaître à jamais.

Nimélys chercha un moyen de monter sur les murailles ; un escalier dérobé, une entrée cachée ? Elle s'imaginait un chemin de ronde, mais la surface des murs demeurait désespérément plane ; rien qui lui indiquait que quiconque avait pu jadis grimper au sommet.

Laissant tomber l'idée d'un perchoir pour mieux scruter la cité, Nimélys se perdit dans un dédale de couloirs dans un ancien quartier. Elle passa la matinée à arpenter Minerve, sans rien trouver. Chaque fois qu'elle découvrait une nouvelle fontaine et son réservoir vide, une pointe de déception l'assaillait.

Nimélyss'immobilisa face à un escalier béant. Il s'enfonçait dans l'obscurité. Destorches autrefois accrochées aux murs avaient dégringolé les marches. Elleétait passée plusieurs fois devant cet escalier, sans jamais oser s'engouffrerà l'intérieur. Le vent frappa son visage comme le rappel du temps quis'écoulait. 

NimélysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant