Espoir

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— Je ne le ferai pas, lui annonça-t-il.

Vanant lui avait soufflé son refus aussi fort que les rafales qui cinglaient les dunes du désert en jetant sa lame à ses pieds. Ce n'était pas la première fois qu'il changeait d'avis. Est-ce qu'il devait lui réexpliquer les enjeux de son plan pour qu'il daigne la ramasser ?

— Non ! Je connais ce regard, je te dis que je renonce.

Les menottes à ses poignets cliquetèrent pour appuyer ses propos. Khoran observa ses propres entraves et l'épaisse corde qui partaient de ses chevilles pour rejoindre celles de son compagnon. Pourquoi l'avaient-ils menotté à cet imbécile ?

Il loucha vers les autres esclaves qui piochaient les roches riches en métal, puis sur les gardes dispersés autour d'eux. Il ne vit qu'une trentaine de corps transpirants et délabrés par le soleil et l'effort. Ils étaient plus d'une centaine une semaine auparavant. L'astre lumineux qui baignait dans l'immensité bleue au-dessus d'eux brûlait leur peau et les tuait à petit feu.

— Tu préfères dédier ton existence à casser des cailloux pour enrichir celui qui t'a retiré ta liberté ?

— Je ne demande qu'à rester en vie, mais ça, tu le sais déjà mon frère, lui répondit Vanant.

— Par l'eau sacrée, pourquoi ne veux-tu pas entendre raison ? Mourir d'épuisement ne te permettra pas de revoir ta famille.

Khoran arma sa pioche et brisa quelques roches. Il avait remarqué du coin de l'œil que l'un des soldats les observait avidement. Est-ce qu'il avait deviné ce qui se jouait à quelques pas de son fouet ? Il détourna le regard pour dévier son attention.

Trop tard.

Le garde se dirigeait vers eux. Il lorgna sur les guenilles qui couvraient leurs corps frêles et les muscles atrophiés de leurs bras tâchés par le soleil. Le cimeterre accroché à sa ceinture de cuir se balançait au rythme de ses foulées. Une menace constante. Leurs armures étaient dissimulées sous des vêtements en lin beige, si bien qu'ils se camouflaient parfaitement dans le désert. Khoran avait failli se trahir plusieurs fois, car il ne les avait pas aperçus à temps. Il enterra plus profondément le poignard qu'il avait mis plusieurs semaines à se procurer en coulissant son pied sur le sable.

— Toi, là, le vieux ridé.

Le garde dévisageait Vanant. Le vieux ridé ? Son ami n'était son ainé que de quelques années et ils avaient tous deux moins de trente ans. Cet esclavage avait certes abîmé leur corps plus qu'il ne pouvait l'imaginer, mais sa jeunesse ne s'était pas évaporée.

Si seulement il pouvait se regarder dans un miroir, il avait passé trop de temps à vivre sans pouvoir se reconnaître !

Le garde s'approcha à quelques centimètres de lui et esquissa un sourire. Ses dents jaunies semblaient recouvertes d'or, mais son haleine putride expirait des relents de crasse. Il faisait danser son cimeterre du bout du poignet comme un rappel qu'il pouvait s'emparer de leur vie à tout moment.

— Demain, vous participerez à La Grande Acclamée du roi Damarius.

Khoran ne l'ignorait pas. Ils avaient été prévenus par le Chwali du campement en personne, si bien qu'il avait failli mourir de joie en l'apprenant.

— Savez-vous, es'clavès, ce que le Grand Roi Damarius ordonne de vous ?

La langue du garde claqua comme la queue d'un serpent à sonnette.

— Vous lui construisez ses temples et ses palais, alors il remercie tous vos efforts pendant La Grande Acclamée. Le Chwali voulait que ce soit clair dans vos têtes d'es'clavès car vous avez du mal à comprendre. Il fit une pause, puis appuya chacun de ses mots avec un zèle irritant.

— Vous n'aurez qu'à vous taire et lui faire des éloges. On vous demande de respirer, et rien de plus. Aucun mouvement, aucune remarque, aucun mauvais regard, compris ?

Il recula de quelques pas et tourna la tête derrière lui.

— Continuez à creuser maintenant !

Il s'éloigna à la hâte en criant vers un autre esclave qui s'était affalé sur le sable. Khoran examina Vanant qui s'était remis à sa besogne.

— Je respecte ton choix, mon frère, mais vois comme ils nous traitent. Notre vie ne vaut rien pour eux.

Vanant laissa son outil en suspens.

— J'implorerais l'eau sacrée pour qu'elle t'épargne la mort, Khoran, mais je ne peux pas me permettre de périr, pas après tout ce que nous avons enduré.

Khoran acquiesça, le cœur lourd.

— Je comprends ton choix mon frère. Je sais que c'est une décision difficile. Sache que je prierais pour que tu retrouves ta famille.

Du bout des pieds, il creusa précautionneusement dans le sable, là où il avait précédemment enterré son arme.

— Où est passée cette fichue lame ? Aide-moi à la retrouver Vanant.

Ils fouillèrent tous deux le sable à la recherche du couteau improvisé tout en veillant à casser suffisamment de rochers pour ne pas attirer à nouveau l'attention des gardes. L'arme s'était évaporée. Vanant cessa de creuser et le fixa, la mine inquiète :

— C'est le désert qui protège son maître, Khoran. Il t'envoie un signe que tu ne devrais pas négliger : tu risques d'échouer si tu t'obstines à vouloir tuer le roi. Il leva les yeux vers le ciel. J'avais déjà remarqué que le vent soufflait fort aujourd'hui. Le désert te murmure que toute ton entreprise est une erreur et que tu te diriges vers la mort.

Khoran observa ses traits tirés, la cicatrice qui longeait sa mâchoire saillante et ses paupières fatiguées. Il se demanda si son visage s'était autant creusé que celui de son ami. Il possédait toujours son autre lame, soigneusement dissimulée au campement. Son plan ne changeait pas.

S'il ne se délivrait pas lui-même, qui le ferait ?

Il passa une main dans ses cheveux grisonnants. En quelques mois, le désert les avait asséchés comme un fétu de paille.

— Le désert sait que je vais le quitter. L'oasis du roi Damarius, voilà où je me rendrais demain et où il trouvera la mort. Le vent peut bien chasser le sable comme il le fait tous les jours, cela ne change rien.

Les sourcils de son ami retombèrent. Il frappa la pierre devant eux, et Khoran se joignit à lui. Il ne le ferait pas changer d'avis, pas après tout ce temps.  

KhoranOù les histoires vivent. Découvrez maintenant