Six ans plus tard.
– Kirta, tu te sens prête ? lui demanda Rukatt.
– Est-ce qu'on peut être prêt pour ce genre de chose ?
Rukatt emmena sa sœur jusqu'au lieu où se trouvait sa mère. Dans un endroit un peu à l'écart de la ville, entouré de plans de phosphorea. Son père et les jumeaux s'y trouvaient déjà. Ils étaient debout, le regard triste, rivé sur la table devant eux. Leur mère et épouse y gisait. Kirta prit une profonde inspiration. C'était la première fois qu'elle voyait le corps d'une défunte. Elle s'approcha doucement, redoutant le moment où elle verrait son visage. Et elle n'apprécia pas ce qu'elle vit. La vieille femme était figée dans une expression de douleur. Avait-elle souffert au moment de sa mort ? Comment était-elle morte ? Qu'avait-elle pensé ou ressenti à ce moment-là ? Kirta sentit les larmes monter, mais elle les retint par fierté.
Elle questionna du regard sa famille. Mais personne ne savait. Personne n'avait pu lui expliquer les circonstances de la mort de sa mère. Chacun s'était résolu à penser qu'elle était âgée pour une Bleue et que son heure était venue, que c'était dans l'ordre des choses.
« Prenez votre temps » annonça une voix derrière la végétation. La jeune femme n'avait pas remarqué la personne qui assistait à la scène, un peu à l'écart. C'était son travail, d'accompagner les familles dans le deuil. « Dès que vous aurez terminé, nous pourrons commencer la cérémonie » ajouta-t-il.
À ce moment, Kirta sentit une main froide lui saisir le bras. C'était Maïr, sa meilleure amie qui était là. Elle fixa elle aussi le corps de la défunte. Beaucoup moins fière, elle laissa couler des larmes silencieuses le long de ses joues.
Kirta se baissa pour enlacer son amie et fondit en sanglots, incapable de retenir sa tristesse plus longtemps.
La famille se recula et indiqua d'un signe de tête que la cérémonie pouvait commencer. L'individu derrière les feuillages partit chercher les invités. Beaucoup de personnes étaient venues assister aux funérailles. Des amis de la famille, plus ou moins proches, des travailleurs de la bibliothèque ou de l'observatoire, les collègues à la forge de Kirta et même la famille la plus prestigieuse de la ville, les Iféior. Kirta scruta la foule pour voir si leur fils était là. Rassèss se tenait un peu plus loin, à côté d'autres jeunes Bleus qu'elle ne connaissait pas, sans doute ses amis. Tandis qu'elle le fixait, il lui rendit son regard. Elle détourna la tête, un peu gênée.
Plusieurs personnes s'avancèrent pour voir le corps de plus près, saluant au passage la famille d'un air grave. Kirta ne comptait plus le nombre de fois où on lui avait formulé « toutes mes condoléances ». Elle souhaitait seulement que la cérémonie soit terminée le plus vite possible. Elle redoutait ce moment où elle ne pourrait retenir ses larmes. Elle avait également préparé un discours, mais n'était pas certaine de réussir à le lire en entier. Elle savait que Maïr serait là pour l'aider si besoin, mais elle ne voulait pas qu'une Rouge soit plus forte qu'elle devant tout le monde. Qu'allait-on penser d'elle ? Qu'elle n'est pas capable d'être robuste comme une Bleue ? En plus, Rassèss assisterait à la scène.
Le maître de cérémonie s'avança enfin. Il prononça plusieurs phrases sur la mort et sur le lien avec le dieu Tfara, celui qui les éclairait de ses soleils. Mais Kirta n'en écouta que des bribes, bien trop préoccupée par ce à quoi allait ressembler sa vie, sans sa mère. Elle gigotait sur place et mordillait ses lèvres pour retenir ses larmes. Maïr lui prit la main, mais elle se dégagea. Elle savait que le soutient de son amie la ferait pleurer. Et elle ne voulait pas céder, pas tout de suite.
C'était désormais le moment où chacun pouvait s'exprimer. Le père de Kirta, d'un signe de la main, refusa l'invitation. Le frère aîné fit donc le premier discours. Il se mit face à l'assemblée. Il récita le CV de sa mère, détailla à quel point elle était merveilleuse et tout ce qu'elle avait accompli dans sa courte vie de Bleue. Tout le monde semblait captivé par ce que disait Rukatt. Kirta eut soudain un nœud à l'estomac et se demandait si son discours à elle valait la peine d'être lu. Elle n'eut pas vraiment le luxe de réfléchir à la question, on l'invita déjà à s'avancer devant l'assemblée. La jeune femme prit une profonde inspiration et se mit en place. Maïr voulu la suivre, mais elle lui fit signe que ce ne serait pas nécessaire.
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L'étoile bleue
FantasíaSi vous étiez discriminé-e, chercheriez-vous à être accepté-e ? À n'importe quel prix ? C'est le choix que Kirta a fait. Discriminée en raison de ses yeux rouges, elle est prête à tout pour se trouver une place dans sa société. Y parviendra-t-elle...