...choses que...

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"Un jour, je te décevrai, et ce jour-là, j'aurai besoin de toi."
-Robert Desnos-


Cette maison a l'odeur de maman et j'ai réussi à sauter le petit déjeuner et le déjeuner sans que papa et Nathan s'en aperçoive. Voilà à quoi pense Abigail juste avant que la voix de sa grand-mère ne résonne dans la pièce.

- Abi chérie, tu ne veux pas aller voir ce que fait ton frère ? Dix minutes pour aller chercher un pull ça me semble un peu long.

Non, Abigail ne veut pas aller voir ce que fait son frère, elle a la flemme mais elle obéit et passe devant son père sans que ce dernier s'en aperçoive et ne daigne lever les yeux de son écran quelques instants, puis elle atteint les escaliers. La jeune fille passe devant les chambres et contrairement à son frère, sans la moindre émotion. Selon elle, remuer le passé ne sert qu'à souffrir davantage. Mais avant qu'elle n'entre dans la chambre de Rose voir ce que faisait son frère, l'échelle du grenier dépliée capta son attention. Elle trouva donc son grand-frère dans le grenier où elle ne s'était pas aventurée depuis quelques années, assis devant un coffre en bois tenant quelque chose dans les mains. Elle avança sans bruit derrière lui, depuis un temps ça lui était plus facile d'arriver discrètement derrière les autres, elle s'accroupit dans son dos pour pouvoir lire ce qu'il tenait dans les mains. Elle n'avait à peine lu deux mots qu'il s'aperçut de sa présence et se retourna.

- Abi ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?

- Je te retourne la question cher frère.

Pour seul réponse il lui tendit la lettre qu'il était en train de lire. Abigail, surprise, la prit et commença sa lecture.

- Je l'ai trouvé dans ce coffre, qui, je pense à appartenu à mamie Rose. Expliqua Nathan devant le froncement de sourcil de sa sœur.

10/04/1943

Ma chère Rose,

Je t'écris sur papier les mots que je n'ai pu dire la dernière fois que nous nous sommes vus par peur de paraître idiot, ces mots que seul mon silence a exprimés. J'ai envie de te revoir, toi et tes yeux magnifiques, toi et ton rire cristallin. Toi qui quand je goûte tes lèvres me font oublier la guerre et ses folies. J'ai hâte de te reprendre dans mes bras. Dis-moi quand est-ce que l'on pourrait se retrouver près du lac.

Je t'embrasse,

Avec tout mon amour pour toujours, toujours, toujours...

Joseph.

- C'est une lettre d'amour dit Abigail les larmes aux yeux.

- Et ça ne vient pas de papi.

La jeune fille regarda son frère comme s'il avait perdu la tête.

- Évidement que non, elle devait avoir quinze ans, son premier amour ne pouvait pas être papi. Elle l'a rencontré et a eu maman bien plus tard.

Nathan acquiesça sans rien dire et ils replongèrent dans le coffre, avide de nouveaux indices. Alors qu'ils fouillaient entre les photos et lettres Abigail se rendit compte qu'elle n'avait pas fait quelque chose avec son frère depuis la mort de leur mère, voilà huit mois, chacun étant resté avec sa douleur, le silence s'étant invité comme un vieil ami dans leurs discussions.

- Regarde, lui dit-elle en tendant une photo en noir et blanc où un couple dansait étroitement serrer l'un contre l'autre. En retournant la photo Abigail put y lire l'inscription suivante :

Rose & Joseph. Mars 1943

- Mamie et ce Joseph avaient l'air de tellement s'aimer...

Nathan, lui ne disait rien, il regardait cette photo où deux êtres semblaient s'aimer, il regardait comment les mains de Joseph étaient posées délicatement sur la taille de Rose, comme celle-ci le regardait amoureusement, il regardait comment ces deux-là semblaient avoir oublié le monde autour d'eux. Il regardait ça et se demandait si lui aussi il pourrait un jour connaître ça...

- Nathan, l'appela sa sœur, regarde toutes ces lettres, aucune ne dépasse la date du 10 Avril 1943...comme s'il avait arrêté de lui envoyer des lettres...

Nathan prit les lettres et il dû reconnaître qu'elle avait raison, de tous les courriers que Rose avait reçu de Joseph, celle-ci, la première qu'ils avaient lu semblait être la dernière reçue. Il n'y avait pas non plus d'autres photos d'eux à part celle-ci, les autres n'étaient que des photographies de plantes ou de paysages.

Tout en se demandant pourquoi est-ce que Joseph n'avait pas envoyé d'autres lettres à sa dulcinée, assis devant ce coffre, le bras de sa petite sœur contre le sien il se rendit compte de la minceur d'Abigail, à cet instant ; elle ressemblait à un petit oiseau frêle tombé trop tôt du nid. Quand est-ce que c'était la dernière fois qu'il l'avait prise dans ses bras ? Le jour de l'enterrement ? Et son père quand est-ce que c'était la dernière fois qu'il lui avait caressé les cheveux en l'appelant « mon fiston » ? Il ne savait plus...

Le silence de ce Joseph après cette dernière lettre était comme ce silence qui s'était installé entre eux et qui avait fait que Nathan ne leur avait toujours pas dit ce qu'il avait voulu leur dire. Le silence de ce courrier c'était l'appel à l'aide que lançait Abigail sous ses pulls devenu trop large, c'était cet amour que Nathan n'avait dit à sa famille, c'était ces cris de S.O.S ensevelit sous le vacarme du silence.

Tous nos silencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant