Le 31 octobre 1809, en Angleterre dans la région du Sussex, un enfant s'apprêtait à voir le jour au cœur d'un manoir peu chaleureux -bien que nouvellement rénové-. Tout dans cette immense demeure y semblait figé dans une certaine rigueur du nouveau siècle. Chaque chose ayant sa place, arrangées sans personnalité ni grande conviction. Ce jour cependant, les longs couloirs fades étaient remplis de vie pour une bonne raison.
Il était quinze heures de l'après-midi et le petit Dorian poussait son premier cri, soulageant par la même les nerfs de la gouvernante qui attendait à l'extérieur de la chambre. À peine était-il né, qu'on le déposa dans les bras d'une nourrice de la ville déjà employée par ses parents. Elle leva les yeux sur sa petite frimousse, pour remarquer qu'il avait une anomalie au niveau des cheveux. Tout d'abord elle avait pensé que le nourrisson n'avait que deux trois poils sur le cailloux, mais non. Ils étaient tous blancs à l'exception de quelques mèches noires du côté droit de sa "frange". Cela horrifia les nouveaux parents dès l'instant où ils avaient posé le regard sur lui. Le fait qu'il soit né le jour des morts était déjà quelque peu problématique, alors que son apparence soit atypique en prime, provoquaient d'ores et déjà des tensions au sein du foyer.
Si les différents employés du manoir, aux cours des jours suivants, étaient tous tombés sous son charme, ce n'était pas le cas de ses géniteurs, qui le voyaient comme un oiseau de mauvaise augure. De la chambre parentale s'échappaient déjà les éclats de voix d'une nouvelle dispute à son propos.
- De toute évidence vous êtes la seule fautive Victoria ! S'exclamait le père de Dorian. Je ne sais avec quelle entité démoniaque vous avez fricotté, mais une chose est sûre, il ne peut être de moi !
- Herschel ! Puisque je vous assure que je n'ai rien fait ! Je n'ai eu que vous et je suis une femme pieuse ! Mais arrêtez donc ! Vous me faites mal !
Hershel, qui tenait fermement le poignet de sa femme, relâcha son emprise pour s'asseoir à son bureau, dépité, grognant comme un animal acculé.
- Mon ami, calmez vous donc... Vous me faites peur... Si cela ne vient d'aucun de nous, il est évident que cela ne peut être que l'œuvre d'une sorcière ! Je suis sûre que c'est la veuve Rivers, elle ne nous apprécie guère et m'a toujours paru louche, dit-elle en passant une main sur l'épaule de son mari.
- Quoi qu'il en soit, il est l'unique héritier de notre titre pour le moment. Je paierai grassement l'accoucheuse pour qu'elle change la date de naissance de... de cet enfant. Pour le reste nous prétexterons des origines de l'est, ou je ne sais quelle autre sottise. Personne ne doit savoir tant que nous n'auront pas trouvé une solution pour l'écarter de l'héritage de notre famille.
Les parents de Dorian étaient de la haute société Britannique. Ils étaient le comte et la comtesse de Brighton, portant fièrement le nom de familles des Hastings. Depuis plusieurs décennies, cette famille aux mœurs strictes gouvernait ce comté portuaire d'une main de fer. L'empire Hastings avait main mise sur les pécheurs du coin et faisait dans le commerce maritime, c'est ainsi qu'ils avaient fait fortune. N'étant pas non plus les plus populaires parmi la haute, ils ne pouvaient pas se permettre de ternir leur réputation à cause d'un rejeton singulier. Chose qui bientôt, fut le cadet de leurs soucis.
Dorian fut élevé par sa nourrice jusqu'à l'âge de trois ans, pour ensuite être placé sous la tutelle d'un précepteur cinq jours sur sept. Ses parents lui teignaient, tant bien que mal et régulièrement, les cheveux en noir pour lui donner une apparence plus normale. Alors que l'enfant débutait maladroitement dans le monde, un mystérieux mal commença à ronger la glorieuse famille.
Sans crier gare, les parents de Victoria furent les premiers à rencontrer une fin tragique, trouvant la mort par la main de leur femme de chambre. Ils avaient été tués froidement dans leur lit alors qu'ils dormaient. Cela avait été un meurtre sanglant, la jeune femme était possédée, dit-on, par le Mal lui-même. L'histoire fit rapidement le tour le la cours et les rumeurs, bien-sûr, allaient bon train.
Alors que le jeune Dorian n'avait que quatre ans, ce fut au tour de sa tante du côté paternel. Elle disparut en mer au cours d'un simple voyage de plaisance tout à fait courant, qui tourna mystérieusement au drame. Plusieurs expéditions de recherche avaient été menées en vain. Tout ce qui leur était revenu, étaient les élucubrations d'un marin à demi-fou qui disait avoir survécu au drame et parlait de navire fantôme. Celui-ci, hanté par cet événement, avait été interné avant de mettre fin à ses jours quelques mois plus tard. Son histoire resta inchangée pendant tout ce temps.
Cela continua jusqu'à ses huit ans. Il perdit oncles, tantes, cousins... Tous de circonstances plus ou moins questionnables, incendie, maladie, causes inexpliquées ou encore empoisonnement. Dorian se retrouva alors seul avec ses parents, et le peu d'employés qui n'avaient pas démissionné, dans un immense manoir, glacial et vide. La descente aux enfers aurait pu s'arrêter là. Seulement, toutes ces morts et disparitions suspectes avaient commencé à attirer l'attention sur eux, et très vite, de sombres rumeurs commencèrent à s'étendre comme la peste noire à travers tout le royaume.
Les Hastings, autrefois puissants et respectés, étaient devenus persona non grata aux yeux de la haute société Britannique. Leurs domestiques et connaissances leur avaient tourné progressivement le dos. Le seul héritier devint rapidement le suspect tout trouvé à l'origine de cette malédiction. Ses parents, plus que quiconque, le tenaient pour responsable de la déchéance familiale. Pour eux, il ne pouvait en être autrement, comment expliquer sinon cette hécatombe, et qu'il n'aient jamais réussi à avoir un autre enfant ?
Herschel et Victoria, d'ailleurs, n'avaient jamais été de bonnes personnes. Cela se révélait d'autant plus vrai dans les moments difficiles. Leur union n'était pas le fruit d'un amour quelconque, non, c'était un simple mariage arrangé. Ils n'étaient unis que par leur méchanceté et leur âme vicieuse, cela avait fini par leur convenir. Au départ, leur ressentiment à l'égard du jeune garçon se manifestait par des remontrances récurrentes. Puis les mots, les insultes, se transformèrent en coups, redoublant de violence à mesure que les années passaient, et que l'aigreur prenait racine, s'installant insidieusement au sein du foyer.
Son père avait commencé à boire, beaucoup. Il sortait presque tous les soirs, ce qui mettait la comtesse à cran. Quand Dorian n'étudiait pas, il restait cloîtré dans sa chambre le plus longtemps possible afin de les éviter. Les choses ne s'arrangèrent guère avec le temps. Le plus dur pour lui néanmoins, n'était pas de recevoir toute cette violence à laquelle il s'était habitué, mais de voir que le peu de relations sociales qu'ils entretenaient encore le savaient, et ne faisaient rien pour y mettre un terme. Ses seuls alliés résidaient parmi les domestiques de la maison. Ceux-ci, dans la plus grande discrétion, s'occupaient de lui et le chouchoutaient tant qu'ils le pouvaient. C'était peu en proportion des abus que le jeune homme subissait, mais ça lui permettait de tenir et de se construire.
Les choses finirent par se tasser, publiquement du moins, et le monde oublia peu à peu la suite d'évènements tragiques qui avaient sali le nom des Hastings. Cela prit tout de même plusieurs années, dix pour être exact. Ils furent petit à petit réintroduits au sein de la noblesse Anglaise, ou plutôt tolérés. C'est donc à ses dix huit ans que le jeune héritier au titre de comte de Brighton put enfin assister à sa première soirée mondaine. Après des années plongé dans l'ostracisme et son obscur quotidien, il allait enfin pouvoir découvrir le monde sous ses plus beaux attraits. Et, en effet, quelle soirée ce fut !
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Bloodlust : une histoire de vampires
VampireLa vie de Dorian Hastings, l'héritier au titre de comte de Brighton, prit un tournant décisif lorsqu'il fit la connaissance du mystérieux Jakub Zywietz, un noble gentleman Polonais. L'homme à la peau de nacre, aux cheveux d'or et aux yeux bordeaux...