Bloodlust : une histoire de vampires

Deux jours hors du temps

Jakub prit le mouchoir en tissu que lui tendait son majordome et le porta à ses lèvres.

- L'Angleterre a bien changé depuis ma dernière visite. Les fumées de charbons carbonisés rendent mes repas très fades.

Dit-il, rendant la petite étoffe souillée à son domestique, se dirigeant vers la fenêtre de son bureau.

Son regard vagabonda un instant parmi les divers pins et chênes de sa propriété, à peine éclairés d'une aurore hivernale. Le givre rendait le paysage moins vibrant, mais aussi plus brillant, tant et si bien qu'il avait les attraits d'une photo argentique. Tout était figé dans un calme abstrait, s'éveillant à peine, animé seulement du chant de quelques oiseaux tenaces.

Monsieur Zywietz avait volontairement opté pour une demeure en campagne, loin des tumultes de la ville, et des commères qui n'hésitaient pas à mettre leurs nez dans ses affaires dès qu'elles en avaient l'occasion. Être physiquement à l'écart lui permettait de maîtriser son environnement, et de garder un véritable sentiment d'intimité.

- Friedrich, débarrasses moi des "restes" de mon repas. Tout doit être convenable pour notre jeune invité. Nous ne pouvons pas nous permettre qu'il te voit t'en occuper. C'est trop tôt pour ça.

Le Majordome acquiesça et s'exécuta silencieusement. Pendant ce temps, son maître se retira dans ses appartements.

Arrivé dans sa salle de bain personnelle, il fit glisser sa robe de chambre en velours brun le long de son corps et la posa sur le tancarville, qui se trouvait juste à côté de sa baignoire de taille modeste. L'heure n'était pas à la détente, il prit donc une sorte de petite serviette en coton blanc qui était disposée sur l'évier et fit couler un peu d'eau. Il soupira un instant, regrettant bien vite les bons bains chauds que lui préparait Friedrich en temps normal. Jakub fit tremper le bout de tissus avant de le frotter à un bloc de savon importé tout droit de Marseille. C'est ainsi, debout sur le carrelage froid, qu'il se savonna et se rinça de la manière la plus simple connue. Une fois cela fait, il se rendit dans sa chambre, ouvrant la grande armoire en bois de merisier, qui renfermait tous ses plus beaux vêtements et accessoires. L'hésitation était de mise pour ce dandy qui se plaisait à contrôler le plus infime détail de sa personne. Après quelques minutes à contempler les différents choix qui s'offraient à lui, son dévolu fut jeté sur une tenue de chasse à courre taillée dans un velours vert foncé du plus bel effet.

Une heure après s'être retiré dans ses quartiers, Jakub pris place devant les portes de son manoir, les yeux rivés sur la montre qui pendait à la boutonnière de son veston. Les arbres, empêchant toute lumière directe de parvenir jusqu'à lui, offraient une ombre froide et paisible qui était fortement appréciée.

Le slave était quelqu'un de poli, élégant et discret, mais sa rigidité sur son emploi du temps mettait souvent cette image à rude épreuve. Il lui était déjà arrivé de se mettre hors de lui car son majordome avait osé déplacer, à la dernière minute, l'un de ses rendez-vous sans le consulter au préalable. Il avait le goût du timing parfait, ainsi une personne, arrivant bien trop en avance à un rendez-vous, finissait souvent par attendre dehors jusqu'à ce qu'il daigne l'accueillir. Une personne avec un retard au delà du raisonnable, à contrario, se voyait immédiatement renvoyé sans ménagement. Quand ce genre de chose se produisait, il était capable de rester maussade toute la journée, et gare à celui qui lui adressait la parole. Bien heureusement, en ce temps là avec la démocratisation des montres à gousset, cela restait des cas exceptionnels.

Neuf heures moins cinq. Jakub leva les yeux à l'entente du bruit que faisaient les roues d'un petit fiacre sur les graviers de la voie d'accès principale. Il esquissa alors un sourire discret, satisfait que tout se déroule de la manière prévue. Il regarda le véhicule, assez vétuste et qui visiblement n'avait pas été entretenu, ni utilisé depuis longtemps, se stopper devant lui. Une petite tête brune sortit timidement de l'habitacle.