chapitre 10

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Les flocons tombaient en silence, couvrant de sa blanche étole la froide nuit d'hiver. Le Docteur adorait la neige, surtout que celle d'aujourd'hui marquait un tournant décisif dans sa vie: il avait sauvé de la mort le commandant Adelaide Brooke. Pour la première fois, il avait changé l'un des points fixes de l'Histoire.

Ce n'est que maintenant que je le réalise, (t/p).

Que le Temps m'appartient. Que j'en suis le maître.

Pourquoi me comporter comme ces joueurs qui doivent constamment s'inquiéter de la décision de l'arbitre? Je suis seul sur le terrain! Toute ma race s'est éteinte, en emportant avec eux tout ceux qui étaient en mesure de m'imposer des limites ou de me dicter des règles. Et j'ai l'entière liberté d'en écrire de nouvelles, ou même de les supprimer, si le besoin se fait sentir. Qui m'en blâmera? Qui m'en empêchera?

Je suis l'Autorité Suprême. Rien ni personne n'est au-dessus de moi.

Il se mit à marcher en direction du Tardis, laissant de profondes empreintes sur le sol immaculé. Ses pas étaient ceux d'un être habité par une absolue certitude. Inflexible. Impérieux. Implacable. La marche majestueuse du dernier Seigneur du Temps, libre de toute entrave, persuadé de détenir l'ultime vérité et capable d'agir en conséquence.

Modifier l'Histoire à sa guise. Remodeler la Réalité selon sa volonté. Choses impensables pour un Docteur survivant. Pas pour un Docteur victorieux.

Je n'aurais pas dû renoncer aussi facilement à toi, (t/p). J'ai trop vite baissé les bras.

Car j'ai enfin compris que je n'avais pas à accepter la mort comme une fatalité.

Peut-être est-il encore temps? D'aller te chercher, et te garder auprès de moi pour toujours? Car rien n'est impossible pour moi, plus maintenant.

J'ai le pouvoir de te donner la jeunesse éternelle, s'il le faut.

J'ai le droit de t'offrir l'immortalité, si je le veux.

Tu l'as fait avec Jack. Pourquoi pas moi?

T'avoir près de moi, sans craindre de te perdre un jour... C'est une faveur qu'on ne peut me refuser. J'ai tant fait, tant sacrifié pour maintenir l'intégrité de cet Univers. Il ne peut me reprocher, n'est-ce-pas, de vouloir à présent un peu de bonheur pour moi-même? Et si c'est le cas...

Alors qu'il aille au diable. Il n'a pas son mot à dire. Il ne peut plus m'arrêter dorénavant!

Une détonation.

Le bruit n'était pas bien grand, ténu même, étouffé par les murs de l'immeuble. Pourtant le Docteur sursauta avant de se retourner, haletant, comme s'il avait été atteint d'une balle en plein coeur.

L'Univers venait de donner sa réponse.

IL FRAPPERA QUATRE FOIS...
- Je suis en vie...

Le Docteur se le répéta encore une fois, incrédule.

- Je suis toujours en vie!

Il rit, sans même penser à se relever. Il avait survécu aux Quatre Coups annoncés par la prophétie! Il avait infléchi le destin!

Tac, tac, tac, tac.

Il tressaillit.

Tac, tac, tac, tac.

Lentement il laissa son regard dériver vers le caisson de verre.

Tac, tac, tac, tac.

Le vieil homme lui fit un signe de la main, avec un sourire tout timide, inconscient de ce que son geste représentait.

Tac, tac, tac, tac.

Wilfred Mott, le grand-père de Donna.

L'homme qui n'avait aucun besoin d'être là. L'homme qui avait été plus une gêne qu'autre chose.

Mais c'était aussi l'homme qui l'avait retrouvé en à peine une matinée, alors que d'autres attendaient des siècles avant de le croiser.

Il aurait dû comprendre à ce moment-là. Que cet homme, sous ses dehors des plus ordinaires, était celui qui avait été choisi par le destin pour être à cette place, en cet instant fatidique. Pour son malheur.

Une seule erreur. Une seule petite erreur et voilà, la sentence tombe, sous la forme d'un vieillard qui risque de mourir si je ne le sors pas de là. J'ai résisté au Maître, j'ai survécu au retour du Gallifrey, pour finalement tomber sur... lui. Ha! Ne trouves-tu pas cette situation d'une drôlerie presque navrante,(T/P)?

Qu'est-il allé faire là-dedans, déjà? Il a pris la place d'un des scientifiques de Naismith, c'est ça? Et pourquoi donc? Personne ne lui a demandé de jouer au héros!

Je pourrais le laisser là, je devrais le laisser là... Non, je ne peux pas le laisser là!

Oh, (T/P)... Que dois-je faire?

Tandis que Wilfred lui demandait avec une calme dignité de l'abandonner, le Docteur tempêta, furieux:

- Il fallait que vous entriez là-dedans! Il fallait que vous alliez vous enfermer dans ce truc!

Une vie contre une autre.

Mais la mienne vaut infiniment plus que la sienne. Lui n'est qu'un vieil homme qui a fait son temps, qui peut mourir d'une année à l'autre même si je le sors de là aujourd'hui. Alors que moi, moi, je pourrais en faire tellement plus, tellement plus! Ce n'est pas juste, non!

Il n'a pas la moindre importance. Un détail insignifiant. Ce n'est qu'un être humain, après tout. Un humain! Alors que je suis un Seigneur du Temps! Le dernier!

De sombres pensées l'agitaient, ses cœurs oppressés par ce qu'il ressentait comme une profonde injustice. Dans un accès de désespoir, il envoya valdinguer les objets qui se trouvaient sur une table, tout près de lui.

Pendant un court instant, il considéra les débris qui jonchaient le sol. Et il sentit quelque chose se briser en lui.

Un humain. Un simple être humain. Comme toi, (T/P). Comme Martha, Donna, Jack, Sarah-Jane... Et pourtant, ça ne vous a jamais arrêtés de risquer vos vies pour moi.

Un soupir s'échappa de ses lèvres.

- J'ai vécu trop longtemps...

Cela suffit.

De toute façon, je ne pouvais plus continuer ainsi. Dés l'instant où j'ai renoncé à toi et que j'ai décidé de ne plus prendre de nouveau compagnon, le chemin était tout tracé pour me conduire là.

Qui sait ce que j'aurais provoqué comme désastre, à parcourir sans relâche l'Espace et le Temps, sans personne à mes côtés, tel un feu follet incapable de s'arrêter...

Il est temps que ça cesse.

En voyant le Docteur s'approcher d'un pas décidé du caisson dans lequel il était enfermé, Wilfred supplia d'une voix tremblante:

- Non, je vous en prie, ne faites pas ça!

Wilfred. L'homme qui me disait qu'il aurait une pensée pour moi chaque fois qu'il regarderait les étoiles. L'homme qui n'a pas hésité à affirmer qu'il serait fier d'avoir un fils comme moi. L'homme sans qui Donna ne serait jamais venue au monde.

Prendre sa place est, je pense, une sortie digne d'un Seigneur du Temps... N'es-tu pas d'accord avec moi, (T/P)?

D'une voix lasse, mais d'où toutes doute et colère s'étaient envolées, le Docteur déclara avec sérénité:

- Wilfred, laissez-moi cet honneur...

noyée sous les Regrets (Reader x 10ème Docteur)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant