Chapitre 3

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Musique : Prélude de la suite No.1 de Bach interpété par Yo-Yo Ma

PDV Disa

J'étais au marché quand elle me bouscula.

- Excuse moi petite...

Je détestais qu'on m'appelait "petite". Je savais que j'étais petite, pas besoin de le répéter sans cesse.

- Ce n'est rien.

Je repartis sur cette phrase, en colère.
Je pénétrais dans ma chambre, la seule pièce que je possédais. Mon père était mort d'une maladie rare et difficilement guérissable, et malheureusement la pauvreté ne faisait qu'aggraver les virus. Quant à ma mère, elle était partie avec un autre homme me laissant seule à l'âge de six ans. Comme beaucoup d'autre, j'avais perdu mes parents. Seulement l'abandon était la pire manière de perdre un parent.

- Naärnet ! Naärnet ! appelai-je.

A peine avais-je prononcé ces mots qu'un petit chat au pelage roux montra son museau. Je tendis la petite part de bœuf que j'avais achetée plutôt. Je l'avais trouvé, tout seul dans la rue, et j'avais bien compris que nous étions pareils : lui et moi avions été abandonnés. Je les appelais Naärnet, comme mon défunt père. Nous nous étions vite entendus. Je le caressais, doucement, comme si le brusquer le briserait en mille morceaux. Il était mon seul ami. Je ne pouvais pas me permettre de le perdre. Le soir approché. Comme à mon habitude, je me plaçais en retrait, de sorte à ne pas trop me faire remarquer.

- Nous devons éliminer les rebelles ! avait crié quelqu'un.

Je n'avais jamais participé au débat. J'étais trop "petite" pour amener des arguments plausibles. Je me souvenais avoir entendu ma mère parler quelques années après mon abandon, et elle m'a regardée, comme si je lui étais inconnue. Je la haïssais. Personne ne devrait faire ce qu'elle m'avait fait. Surtout pas une mère. Je vis d'ailleurs la mienne, mon horrible mienne.

La fin du débat approchait. Nous désignions tous quelqu'un, et aujourd'hui, étrangement, ma main s'était d'elle même dirigé vers ma mère. Tout le monde se tourna vers moi et dans leur regard, je pouvais lire de la pitié. Rien n'est plus horrible que ce sentiment. Je les détestaient tous. Leur stupidité les tuerait un jour. En raison de mon histoire et de mon jeune âge, ils éprouvaient de la compassion et tentaient de se mettre à ma place. Ma mère me regarda, étonnée. Je le savais parfaitement : depuis qu'elle m'a livrée à ma propre vie, elle m'avait oubliée.

Je sortis de la salle sans attendre les résultats. Je regardais rarement les villageois mourir. Rien n'était plus horrible que de sentir des yeux vous scruter lorsque vous aimeriez rendre l'âme en paix. Des yeux remplient d'attentes, qui se moquent bien de vous voir agoniser, d'entendre vos derniers cris. Je rentrai chez moi et me faufilai dans mon lit froid. Je ne trouvais pas le sommeil, je réfléchissais sans cesse à la manière que les loups-garous adoptaient pour dévorer les innocents. Quand ils pénétraient dans les maisons, les cohabitants devaient les entendre. Entraient-ils par les portes principales, ou empruntaient-ils les fenêtres de leurs victimes ? Je n'en saurais jamais rien, et le sentiment de l'inconnu me rongeait l'estomac continuellement, sans lui l'essaie un échappatoire qui pouvait parfois lui sauver la vie. La suprématie des lycanthropes n'allait pas se terminer, et nous marchions constamment vers la mort en laissant quelques camarades courir et se prendre le mur de la fin. Pourquoi personne ne trouvait le courage de sortir la nuit pour observer ces bêtes ? Pourquoi personne n'y avait pensé ? Pourquoi n'avais-je jamais tenté ? Qu'avais-je à perdre ? Je n'avais plus d'entourage et la dernière chose à laquelle je tenais était Naärnet, un chat, un stupide chat réclamant à manger jour et nuit, ne pensant qu'à dormir, chasser et tuer par la même affaire. Tuer, comme les loup-garous. La nature n'était qu'un cercle vicieux ne s'arrêtant qu'à l'occasion de l'extinction totale des êtres. Je détestais vivre dans ce monde où les pus forts dominés les plus faibles.

Tuer ou être tuéWhere stories live. Discover now