Un nouveau départ

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Monsieur Duplantier était confortablement assis dans son canapé évoforme qu'il avait réglé sur le programme « nuage délicat » pour cette occasion spéciale. Cet excavateur de sable lunaire avait trimé toute sa vie pour s'offrir le nec plus ultra du sofa à matière contrôlée. Mais son parcours de labeur appartiendrait bientôt au passé. L'apparition du compte à rebours sur l'écran d'holovision eut sur lui un effet cathartique. Il pensa à ses enfants, à leur avenir.

L'annonce de la loi qui allait entrer en vigueur d'ici quelques minutes avait colporté les promesses d'un nouveau départ. L'enjeu ? Rendre sa beauté à un paysage social en déliquescence et ressusciter les espaces naturels d'antan réduits depuis des décennies à l'état de vastes étendues stériles.

Le sablier de l'anthropocène se débarrassait de ses dernières scories. Duplantier clama : « Trois, deux, un, zéro ! ». Partout dans le pays, les usines gouvernementales vomissaient des nuées de sentinelles devant des millions de concitoyens émerveillés. L'intelligence artificielle qui venait d'être proclamée cheffe suprême menait son plan avec la minutie d'un horloger.

Un tambourinement insistant sortit Duplantier de sa béatitude. Il se leva et alla ouvrir. Un robot humanoïde portant l'uniforme de la police se tenait sur le palier de son appartement : une sentinelle. Son visage d'ange arracha un sourire à Duplantier. L'IA suprême venait-elle saluer ses sujets ? Il reprit une posture plus solennelle. La sentinelle le dévisagea, comme dérangée par son comportement. « Expression non conforme. Vous êtes en état d'arrestation, veuillez nous suivre », articula le robot d'un ton glacial. Le père de famille s'exécuta dans l'incrédulité la plus totale.

Lorsque monsieur Duplantier sortit de prison trois ans plus tard, il ne reconnut pas sa ville. Squares verdoyants et riverains enjoués se fondaient en une harmonie enchanteresse. Tandis qu'il tentait désespérément de retrouver le chemin de son appartement dans cette variante idyllique de son Toulouse natal, une femme au tailleur impeccable le héla depuis une allée fleurie :

— Souriez ! somma-t-elle en contractant les zygomatiques en guise d'exemple.

Duplantier la regarda d'un œil circonspect avant de lâcher :

— Pouvez-vous m'expliquer ce qu'il se passe ici ?

— L'IA suprême ne supporte pas de voir des citoyens de mauvaise humeur, affirma-t-elle en bifurquant dans sa direction d'un pas leste.

— Pardon, mais je viens tout juste de purger ma peine de sommeil forcé...

Un éclair de lucidité illumina furtivement le visage figé de son interlocutrice. Elle l'attrapa par la main et chuchota :

— Contentez-vous de sourire et de m'écouter.

Ils prirent place sur un banc de marbre aux veines rosées, entouré d'arbres aux cimes indiscernables. La femme d'affaires lui conta alors l'histoire de la plus grande catastrophe technologique qui toucha le pays. Cette histoire remontait à la création de l'IA suprême. Alors que celle-ci terminait son apprentissage, s'abreuvant de textes écolo-humanistes, un fichier fut malencontreusement glissé dans sa bibliothèque. C'est ainsi que l'intelligence artificielle fut catapultée à la tête du pays après avoir assimilé un roman dystopique intitulé « Sous un sourire radieux ». On pouvait dire que pour monsieur Duplantier, la fiction avait rejoint la réalité, littéralement.

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