☕ BONUS : Croisade contre l'omniscient

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On dirait que je veux partir en croisade contre Dieu, mais non, je vais seulement parler d'un type de narration qui m'enquiquine souvent dans mes bêta-lectures : le point de vue omniscient.

Pour rappel : on décrit classiquement trois modes de focalisation en narration :
• L'externe : le narrateur se contente de décrire ce qu'il se passe, il ne connait pas les personnages, ni l'univers dans lequel ils évoluent. Ça revient à être un nain de jardin témoin du passage d'une armée inconnue sur son lopin de terre.
• L'interne : on est dans la tête d'un personnage, c'est lui le narrateur, il dévoilera ce qu'il veut bien dévoiler de lui, par contre (à moins d'être télépathe) il ne peut pas deviner ce que pensent les autres personnages. Une narration interne peut être à la première ou à la troisième personne, et on peut switcher tant qu'on veut sur d'autres personnages. Attention cependant à ne pas switcher en plein milieu d'une scène ou d'un paragraphe, sinon on passe sur le 3ème type de focalisation...
• L'omniscient : le narrateur est Dieu. Il sait tout des personnages, y compris ce qu'eux-mêmes ne savent pas. Il dévoile ce qu'il veut (enfin ce que l'auteur veut dévoiler) et il n'y a a priori pas de limites.
Bien sûr, il n'y a aucune règle figée en écriture : de nombreux textes explorent différents modes narratifs. La focalisation, c'est surtout un différentiel de connaissances et, ça peut paraître anecdotique, mais c'est pourtant un choix super important selon ce qu'on veut raconter.

Ceux qui ont l'habitude de lire mes chroniques, vous avez peut-être remarqué que je suis (pète-couille) un peu dubitatif concernant le choix de l'omniscient...

« Mais Luiz enfin, laisse les auteurs tranquilles, c'est à eux d'en décider ! »

En effet, vous êtes libres d'écrire comme vous voulez. Au « je », au « tu » ou du point de vue d'une comète qui passe au-dessus de la planète à ce moment-là, mais laissez-moi quand même vous exposer les raisons pour lesquelles j'ai du mal avec l'omniscient.

1) Une représentation moins évidente pour le lecteur

Quand on commence à suivre un personnage, on se représente le monde à travers ses yeux. Qu'est-ce qu'il observe ? Comment ressent-il ce qu'il voit ? Lorsqu'au beau milieu de cette identification on glisse — souvent sans crier gare — sur un autre personnage, je trouve que ça coupe l'immersion. Et que ça brouille les repères !

Parce que souvent, les personnages ne sont pas côte à côte, donc ça rend la spatialisation plus difficile, moins fluide, pour nous lecteurs. Ce serait comme un caméraman qui ferait fi des règles de champ-contrechamp : on aurait bien du mal à se concentrer sur le dialogue si deux interlocuteurs ne sont pas filmés selon une certaine symétrie ou une certaine logique.

Alors, l'omniscient peut tout à fait fonctionner. Il y a des récits où la spatialité reste claire, mais je trouve que c'est suuuuper difficile à manier, et donc, si c'est votre premier roman, ne vous faites pas chier : utilisez l'interne. Une partie = un personnage ; et on n'évoque que ce que le personnage connaît, ce dont il peut témoigner et ce qu'il peut supposer. Je peux concevoir que c'est difficile, voire frustrant, pour un auteur, car :

2) La peur que le lecteur ne voit pas l'histoire comme moi je veux qu'il la voie.

Peut-être que j'extrapole / présuppose un peu loin, mais j'ai souvent l'impression que l'omniscient reflète cette volonté de l'auteur de transmettre un maximum de choses au lecteur. Parce que quand tu sais, toi auteur, que tel personnage a telle opinion à un instant T et que tu trouves ça intéressant, ce serait dommage de ne pas la partager.

Le problème avec cette façon de faire, c'est le risque de s'égarer. Non, le lecteur n'a pas besoin de tout savoir, en général, l'histoire aura bien assez de richesse par ailleurs.

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