Prologue

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Bordel de merde. J'ai toujours détesté les clowns... Ces putains d'arnaqueurs sont toujours prêts à tout pour faire rire (ou faire pleurer) toutes les personnes qui ont la malchance de tomber sur leur chemin... Si par mégarde on leur tape dans l'œil, alors ces enfants de pute ne nous lâchent pas du reste de notre vie... Lorsque j'avais huit ans, il y en a un qui m'a poursuivie en voulant me lancer une tarte à la crème au visage et ce, pendant tout le weekend où la foire était en ville... J'en ai jamais rien eu à foutre des ballons en forme de chien qu'ils distribuaient dans les cirques ambulants passant à chaque année près de la maison... Mais une certaine fascination morbide m'a toujours poussée à m'en procurer un, comme les autres enfants le faisaient. Quelle grossière erreur! Ces monstres nous traquaient jusque dans les plus sordides des ruelles pour nous harceler avec leurs farces démentes et complètement diaboliques une fois qu'ils savaient qu'ils avaient notre attention. La plupart de ces clowns ne se cachent pas de ce qu'ils font, c'est probablement ce qui cause leur stupidité, cette obstination à se donner en spectacle. C'est probablement aussi ce qui cause leur joie, j'imagine.


Ce que je ne savais pas à l'époque, c'est qu'il y a aussi des clowns tristes. Eux ce sont les pires. Même si parfois ils donnent l'impression de rire de façon mélancolique, il faut toujours s'en méfier, car ce sont les plus fous. Ils n'hésiteront jamais à vous poignarder dans le dos, ça je peux vous le garantir. En plus, ils y prendront toujours un malin plaisir. Pour eux, l'argent ne veut absolument rien dire. Pas plus que le sexe, la drogue ou le pouvoir. Pas même un public prêt à les aduler le moment d'un numéro de jonglerie ne peut les intéresser. C'est pour ça qu'ils sont si différents de leurs compatriotes, rien ne peut les satisfaire. Ces clowns tristes, ils sont vraiment difficiles à repérer. Où serait le jeu? On peut en avoir un dans notre environnement direct depuis des années et jamais on ne l'aurait soupçonné de quoi que ce soit, pas même de la moindre fourberie. Il faut savoir que ce sont des comédiens ces arlequins, de putain de bons acteurs. Ils peuvent aisément dissimuler leur tristesse derrière un grand sourire sans provoquer le moindre doute dans l'esprit d'un enquêteur du FBI et ils peuvent même leur faire croire qu'ils sont de bonnes et honnêtes personnes. Leurs monologues semblent toujours sensés, même si parfois ils se permettent de petits débordements. Comment quelqu'un pourrait-il conserver toute cette colère à l'intérieur? De là leur préférence pour l'anarchie et le chaos. Ils se retrouvent eux-mêmes dans les plus bas instincts qui sommeillent au fond de tous les hommes et surtout, dans leur déchéance fulgurante. Ils prétendront toujours être parfaitement normaux et que c'est le reste qui ne laisse pas vraiment place à la véritable noirceur de l'existence. C'est pourquoi ils adorent donner la blancheur de la mort en cadeau. À la croisée de deux rues endormies, aux tréfonds des plus sordides ruelles ou même dans le confort d'un matelas de plume, aucun endroit n'est à l'abri de leur morbide largesse. Meurtriers direz-vous? Visionnaires répondrai-je. Ils n'ont pas besoin d'un motif pour commettre n'importe quel geste, pas même celui de la divine faucheuse.


J'ai connu bien des clowns au cours de ma pathétique et courte vie, la majorité étant joyeux et insouciants. Je m'en suis débarrassé bien assez vite. De la torture à une balle dans la tête, tous y sont passés. L'autre partie de ce ramassis de bêtes de foire était composée d'un seul clown, moi. Je n'ai découvert son existence que très récemment et je dois avouer que je ne m'en porte pas très bien. Imaginez, découvrir que ce que vous redoutez le plus est en fait vous, c'est horrible. Horrible et dément. Qui ne pourrait pas en souffrir? Déjà que les clowns joyeux m'horripilaient, apprendre que j'étais un putain de Pierrot m'a causé tout un choc.


En prenant du recul, je réalise à quel point je n'ai jamais eu d'avenir. Du début jusqu'à la fin, je n'ai été qu'une vaste perte de temps et tout cela m'énerve au plus haut point. Pourtant je n'ai pas fait que des trucs mal, enfin, je crois. J'ai procuré du plaisir à certains et ai défendu d'autres, mais est-ce cela qu'une illusion? Je n'ai jamais eu quelque chose à foutre de quoi que ce soit, surtout de ce que les autres pensaient de moi. De toute manière, j'étais supérieure. J'avais créé cet espèce de personnage que j'ai appris à jouer de mieux en mieux tandis que le temps passait. Mon masque était devenu mon visage. Tellement que j'en ai oublié la petite chose qu'il y avait au départ. Cette créature craintive qui était faible, si faible.


Sois forte. C'est ce qu'ils disaient. C'est ce qu'ils se sont toujours dit. Malgré tout, c'étaient eux qui se complaisaient dans toute cette luxure, cette décadence. C'étaient eux les lâches d'oublier la vie dans une illusion si doucereuse. Ils me donnaient la nausée. Je me suis débarrassé d'eux sans regrets et lorsque j'ai vu leurs corps dans ce cercueil d'ébène, j'ai souri. Des regrets, je n'en ai jamais eu et je n'en aurai jamais. Cette prétendue force qui était sensée m'habiter, je la tirais de mes faiblesses et c'est probablement pourquoi mon âme est loin d'être dépourvue de noires souillures et de taches de sang. Les péchés, je les ai tous commis, et avec soin. Dans toute ma folie, je me suis déconstruite et tuée à petit feu, c'est pourquoi il faut que tout cela cesse, malgré la pureté fatidique que cela entraîne.


Tandis que je monte sur le petit tabouret, j'ai une pensée pour lui. Fugace, oui, mais une pensée tout de même. Je crois que je l'ai apprécié, il y a un moment, mais maintenant plus rien n'a d'importance. Tandis que je passe la corde autour de mon cou, je réfléchis à ce qui va arriver à tous ces gens, ces gens qui dans un sens, j'abandonne. Je pense qu'ils vont bien s'en sortir, qu'ils réussiront à passer au travers de tout ça sans encombre. Surtout lui, lui qui je pense, me porte une certaine affection. Mais peu importe, je ne pense pas vraiment déjà avoir eu un cœur. L'organe oui, mais la stupidité sentimentale non. Le seul qui m'en a donné l'amère illusion ne se doutera probablement jamais que c'était plus ou moins réciproque et c'est très bien comme ça.

J'inspire un grand coup et ferme les yeux. Tandis que mes pieds quittent la surface rassurante du vieux bois vernis du petit tabouret, je vois très clairement les visages de tous ceux dont j'ai eu l'audace d'enlever la vie en pensant que j'en avais parfaitement le droit, comme si j'étais un juge. Dans un mouvement des plus macabres, ils ouvrent tous les yeux pour me juger comme je l'ai fait avec eux auparavant. Ils m'enjoignent tous à les rejoindre dans cette funeste danse qu'est la leur, celle qui est née de ma main. Tandis que je suffoque, ils arrachent la vie de mon corps et la saccagent à grands coups de couteaux. Finalement, la mort n'est pas aussi immaculée que l'on pourrait s'imaginer.

La blague du bourreau s'est perdue dans les rires du plaisantinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant