Chapitre 4: Le dix de pique

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Le café avait un goût de merde. L'inconnue, qui avait vidé pratiquement la moitié d'une flasque à l'intérieur de sa tasse, semblait n'en avoir rien à cirer. Sans même se soucier d'être dans un lieu public, elle sortit une cigarette et se mit à fumer, laissant tomber ses mégots sur la table du petit restaurant familial où nous étions. Une dame en surpoids avec un chandail jaune lui créant des bourrelets toute la taille s'approcha de nous, un air visiblement frustré au visage.
-Hé, c'est qui en a qu'y ont des enfants ici. Éteignez votre putain de clope.
La fille se tourna paresseusement la tête vers la dame peu gracieuse et se contenta de lui envoyer un rond de fumée au visage. Celle-ci toussota, son visage de dédain lui donnant l'apparence d'un porc et elle s'approcha violemment de l'inconnue qui me faisait face. La situation présente ne semblait qu'apporter qu'un vague amusement à cette dernière et elle se tourna vers moi dans un rire.
-Vous vous prenez pour qui, sale garce? Nous sommes dans un resto qui interdit la cigarette, jetez-la ou je vous cogne, bordel!
-Madame, surveillez votre langage. Nous sommes dans un restaurant familial. répondit calmement la principale intéressée, non sans accompagner le tout d'un sourire.
Je me retenais pour ne pas éclater de rire, voyant que le visage de la grosse dame devenait rouge de colère.
-Saleté de conne, tu ne me diras pas quoi faire! rugit la grosse affreuse. Je vais voir le manager!
-Vous l'avez devant vous, dit simplement la jeune fille. Mon père possède le restaurant et me demande d'y faire parfois un tour pour voir si les affaires roulent bien.
La dame sembla si surprise que je pensais qu'elle en ferait une crise de cœur, ce qui ne m'aurait pas étonné dû à sa corpulence. Elle se retourna vivement vers sa table, empoigna les mains de ses enfants et sortit prestement, rouge de honte. J'éclatai de rire tandis que l'inconnue ne se contenta que de sourire.
-Ça marche à tous les coups, dit-elle, les yeux plantés dans les miens.
-Quoi, tu veux dire que c'est pas vrai?
- Non, mon père ne possèderait jamais un trou pareil. dit-elle, s'attirant le regard noir d'une serveuse qui passait tout près.
Je me contentai d'avaler une gorgée de café infect, ne sachant pas trop quoi répondre.
-Ne te force pas à boire ça, je pense que c'est pire que chez ce déchet de Starbucks.
Je rigolai, plutôt d'accord avec ses propos, mais gardai ensuite le silence.

Je baissai la tête vers ma tasse, un peu intimidé. C'est que c'était elle qui m'avait fait venir ici et je ne savais honnêtement pas pourquoi, parce que tous ce que nous avions fait depuis que nous étions arrivé, c'était d'être assis en silence, nous jaugeant du regard. Ça c'était avant que la grosse folle arrive avec des idées meurtrières, mais bon, reste-t-il que je me demandais quels étaient ses desseins en s'assoyant avec dans un resto miteux, devant du mauvais café.
-T'as un job, par hasard? commença-t-elle, semblant tout d'un coup s'intéresser à moi.
-Ouais, heu, je... Je flippe des boulettes chez Alfonso's Burger. dis-je, penaud.
-Hum, chez ce gros imbécile qui travaille pour Falcone... Intéressant.
Elle marqua un moment de silence, pensive. Tout en me fixant de son regard d'ébène, je vis ses lèvres rouges s'étirer en un long sourire carnassier. Elle me donnait froid dans le dos celle-là.
- Je t'offre du travail, à l'As de pique. dit-elle lentement.
Je ne fis que la regarder avec des yeux ronds. Putain, elle était sérieuse? Je scrutai attentivement son visage, tentant d'y déceler le moindre mensonge. Je n'y vis que ses profonds iris noirs, ces derniers me semblant tout à coup dangereux. Ils étaient froids, calculateurs, mais aussi terriblement beaux. D'une beauté empoisonnée, pensai-je.
-M'engager? Tu veux rire?
-Oui, justement. J'ai envie de m'amuser et t'as l'air tout désigné pour ça, avec ta tête de clown. Tu ferais parti d'une équipe... spéciale, disons.

Je savais où me mènerait ce job si j'acceptais, vers une vie de débauche, de crime et de violence. Je connaissais assez bien l'As de pique, du moins sa surface, pour savoir que c'était le cas. Cette dernière m'apparaissait comme étant déjà bien assez pourrie, je n'osais imaginer le dessous. Je n'avais pas envie de finir comme tant de gens d'ici, comme ma mère, c'est-à-dire englouti par la folie de Gotham. Soudainement dégoûté, je secouai fortement la tête.
-Non, je ne veux pas m'enfoncer dans ce chemin-là. Ce n'est pas moi ça.
Elle eu un rire méprisant.
-C'est ce qui t'attends ultimement, que tu le veuilles ou non. Je peux sentir ce genre de chose, t'as ça dans le sang, mon pote. Tu peux bien tenter de te mentir à toi-même, mais tu le sais autant que je le sais : l'As de pique est ton unique univers depuis que t'as mis les pieds dedans.
Elle se leva, sortit des verres fumés et les déposa devant ses yeux. Sans démontrer la moindre émotion, elle déposa devant moi une carte avec un numéro dessus.
-Tu m'appelleras quand tu auras pris ta décision.
Elle se dirigea vers la sortie, revêtant ses gants de cuir sur ses longs doigts de pianiste.
-Attends! Ton nom, au moins? réclamai-je.
-Ça, tu le sauras bien assez tôt, Jack.
Puis elle sortit, me laissant seul et perplexe. Je ne me rappelais pas lui avoir dit comment je m'appelais.

La blague du bourreau s'est perdue dans les rires du plaisantinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant