Chapitre 1: L'As de pique

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Je n'avais jamais mis les pieds dans l'As de pique auparavant. Bien sûr, j'en avais entendu parler à de nombreuses reprises, que ce soit des tarés qui fréquentaient mon école ou de mon fournisseur qui me vendait de la came, mais je ne m'étais jamais décidé à franchir le seuil de la porte décrépite qui constituait son entrée avant aujourd'hui. Peut-être était-ce toutes ces rumeurs étranges à propos de l'identité du propriétaire de l'endroit ou l'allure effrayante du géant doorman albinos qui m'en avait dissuadé, reste-t-il que je m'étais toujours refusé le droit de rendre une petite visite à ce bar à la réputation toute aussi légendaire que louche. Toutefois, j'y étais et je traînais mes pieds dans une sorte de vestibule éclairé d'une lueur rougeâtre enivrante.  Des vibrations d'une musique aux airs psychédéliques me vinrent aux oreilles, donnant une ambiance surréaliste à ce petit espace me séparant de la grande salle où nombre d'adolescents et criminels intoxiqués vivaient dans la débauche le temps d'une nuit. En gros, on pouvait résumer l'endroit en quelques mots : alcool, drogues expérimentales et mineurs.  J'hésitai donc à entrer dans ce lieu mythique, ne sachant pas si c'était vraiment ce que je voulais. Après tout, je n'avais que 18 ans. Je m'assis donc sur un des petits canapés entassés dans le petit réduit et fermai les yeux.


J'étais seul, chose surprenante compte-tenu du nombre impressionnant de personnes fréquentant l'établissement chaque soir. Étrangement, ce petit vestibule me rassurait, me donnait une impression de sérénité que je n'atteignais que très rarement. Disons qu'avec mon père toujours soûl à la maison et ma mère six pieds sous terre, le calme ne faisait pas partie intégrante de ma vie. En fait, il ne l'avait jamais vraiment fait, ceci n'étant pas vraiment surprenant compte-tenu de la ville dans laquelle j'ai été élevé. Le taux de crime y était si élevé que tous les officiers des forces de l'ordre possédaient un casier judiciaire, le commissaire y compris. Certains racontaient  même que le maire était impliqué dans un réseau de pornographie juvénile et il était notoire qu'il était un grand consommateur de crack. (Non, ce n'était pas Rob Ford, calmez-vous bon sang!) En effet, j'ai grandi dans la charmante bourgade qu'est celle de Gotham, la ville de tous les crimes et où pratiquement toutes les rues grouillent de coupe-jarrets de toutes sortes ainsi que de toxicomanes en quête d'un peu de matos à se mettre dans le système. C'était le cas de ma mère. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs d'elle, mais je me rappelle très bien de ses yeux, ses yeux grands et bleus, ces même yeux que j'ai retrouvés sans vie sur le canapé du salon un dimanche matin. Bon Dieu ce que j'aimais ce canapé, il était un peu râpeux et d'un marron fade, mais il était confortable. Lorsque mes deux parents étaient partis je ne sais où durant la soirée, je m'installais sur ce canapé et j'attendais. Parfois, il n'y avait que mon père qui revenait, son haleine empestant l'alcool et le tabac. Il lui arrivait souvent de m'envoyer plusieurs coups et gifles, histoire de tenter de me réprimander de l'avoir attendu toute la nuit sur ce canapé pourri, mais lorsque je lui répondais que c'était maman que j'attendais, il me dévisageait un moment, me prenait ensuite dans ses bras et pleurait. Il savait que je savais que maman se droguait, mais par contre, il ne savait pas que je savais qu'elle se vendait pour le faire. Moi, je n'en avais rien à faire que ma mère agisse de la sorte, j'étais seulement triste de la voir arriver, les bras pleins de marques et de bleus et sa robe tachée de sang au niveau de bas du ventre.  Lorsque je l'ai retrouvée sans vie sur ce canapé ce dimanche matin là, une seringue dans le bras, j'étais heureux, parce que je n'aurais plus à l'attendre des nuits entières pour la voir arriver, malheureuse, ses grands yeux bleus pleins de larmes.


Je restai là, assis, à me laisser bercer par la musique et par l'aura rouge que dégageaient les néons. Deux punks passèrent près de moi et allèrent s'installer dans un bain sur pattes mystérieusement déposé dans la petite pièce. Cet endroit était définitivement étrange. Il le devint davantage lorsque je remarquai que la baignoire semblait être composée d'ossements humains, chose qui ne semblait aucunement déranger le couple qui s'embrassait comme si les deux partenaires voulaient avaler la langue de l'un et de l'autre. Il va sans dire que c'était répugnant. Tandis que je fermais les yeux et tentais de chasser cette image horrible de mon esprit, je réalisai que ces derniers commencèrent à faire autre chose que de s'embrasser parmi des restes humains lorsque des sons louches me vinrent aux oreilles. Je me levai prestement et sorti du vestibule sans demander mon reste.

La blague du bourreau s'est perdue dans les rires du plaisantinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant