Invitée surprise

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Immense, poilue, la bave traçant un long filet dégoulinant de ses babines, cette créature à l'apparence féline m'observe longuement.

Encore ensommeillée, je clique plusieurs fois des paupières afin de m'assurer d'être bien éveillée et non dans un drôle de cauchemar.

La minuscule silhouette d'Alistair engloutie sous cette masse, se tient en rempart entre la bête et moi. L'épée dégainée, en posture de combat, aucun trait ne trahit une quelconque appréhension. Malgré la balafre ensanglantée qui orne son bras, son visage dépeint une sérénité feinte. Avançant vers cette apparition monstrueuse, avec une lenteur calculée, je jette un coup d'œil sur le campement. Tous ont dégainé leurs armes, prêts à lancer l'assaut contre l'animal sauvage, mais je n'observe personne d'autre de blessé. Delyan se démène à calmer les volatiles qui agitent leurs imposantes ailes, créant des rafales balayant l'herbe humidifiée par la rosée, de la clairière. Le calme impérial d'Alistair transgresse avec la fébrilité ambiante manifeste.

- Vôtre Majesté, ne prenez pas la peine d'intervenir, je m'occupe personnellement de cette chose abominable.

La confiance qui exsude de ses paroles me confirme ses intentions chevaleresques dans cette expédition.

Les pupilles verticales de la créature, s'apparentant plus à un loup au pelage clair, opèrent des aller-retours stratégiques entre Alistair et ma personne. Tandis que ses larges narines hument l'air frais, à la recherche d'odeurs olfactives, ses oreilles s'orientent, tels des capteurs, vers des sonorités imperceptibles à nos oreilles. Brusquement un grondement sourd s'élève du sol, alors qu'une brèche prend vie non loin de la créature. Estomaqué, l'ensemble du groupe fixe la forme humaine qui s'extirpe des gravats du sol, avec une facilité innée.

- Trouvé ! s'écrit la femme en courant pour venir touché les poils de la bête.

Cette dernière se fige, le regard empreint de terreur devant cette longue silhouette qui étire grossièrement ses muscles sollicités.

Je reconnais facilement la princesse de la famille Mori. Élancée, dans une tunique d'un blanc immaculé, semblable à une robe de chambre, elle laisse trainer paresseusement ses doigts dans ses longues boucles imprégnées de terres fraiches. Celle-là même qui avait attiré les regards des frères Karthani lors de la première soirée. Le contraste est saisissant entre l'élégante femme aperçue à l'événement festif et cette personne sauvage qui se tient devant nous, aux manières disgracieuses. Felice Mori, si ma mémoire ne me fait pas défaut, est bien loin du portrait aperçu auparavant.

- Oh ! s'exclame-t-elle une surprise artificielle baigne ses traits, qui ne m'atteint pas.

Si je m'attendais à vous revoir là, Olivia Nyylas Princesse des Ténèbres, en dehors de vôtre royaume.

Son ton simplet ne me dupera pas, la lueur d'amusement qui scintille dans ses prunelles la trahissant.

Alors qu'elle contourne la créature pour venir à ma rencontre, cette dernière s'allonge révérencieusement devant elle en signe de respect et de soumission. Nous nous saluons rapidement, alors qu'Alistair explique notre présence sur ces terres à mon homologue. Je note que le loup scrute attentivement chaque mouvement de la maîtresse des lieux, un rictus douloureux lui colle aux babines. Ce dernier est blessé au niveau de sa patte arrière qui laisse échapper un liquide poisseux noirâtre. Comme transpercée par une lame pernicieuse.

- Nous étions en pleine partie de chasse au Loup que j'ai remarquablement gagnée d'ailleurs, grâce à vous détaille-t-elle à l'intention du chef de troupe.

D'un mouvement habile de la main, elle invoque des racines qui émergent avec vivacité, des quatre coins de la forêt, cheminant jusqu'à nous pour venir plaquer l'animal, le clouant encore plus au sol. Un couinement de douleur s'échappe de ses babines à mesure que les racines ancrent leurs épines dans son pelage. Les corbeaux s'agitent en écho à la détresse de l'animal. L'obédience de cet être est telle, que mis à part ce subtile vagissement, aucune trace d'insurrection ne transparaît de la bête. Pareil à un condamné acceptant fatalement sa peine, qu'elle soit méritée ou injustifiée.

Ombre solitaire : une vie de mensonges.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant