Chapitre 1

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Il avait toujours aimé la mer. Elle qui bordait sa ville, si proche et si lointaine à la fois. Il aimait tant le son criard des mouettes que le chant des vagues qui léchaient inlassablement le sable et les galets. Ce sable qu'il voulait quotidiennement, tant et si bien qu'au fil des années, le voir parcourir la plage était devenu une routine appréciée et habituelle. Il ne parlait à personne, ne courait pas, ne jouait pas, il marchait simplement un temps, toujours sur le même trajet, avant de s'arrêter. Cependant, jamais on ne l'avait vu nager malgré l'amour qu'il portait aux flots. Un blocage sévère restait ancré dans son esprit et le maintenait éloigné des bras glacés de l'océan. Ce n'était qu'un vestige du passé, souvenir d'enfance qui suffisait à réfréner l'envie d'approcher. Après tout, il avait eut l'expérience de la cruauté de l'eau. La vaste étendue est belle, mais elle coule et tue aussi aisément qu'une brise emporte une feuille. En soit, la nage était une épreuve. La mer était une merveille à admirer de loin, une frontière inviolable aux milles mystères enfouis en elle. Souvent, ses yeux vifs balayaient les environs, toujours aussi curieux malgré les années. Il semblait attendre que quelque chose se passe, qu'un événement brise la bulle paisible du lieu qu'il connaît mieux que sa poche. Parfois, son regard se posait sur cette falaise, si imposante, qui fendait impérieusement la mer pour se dresser de toute sa hauteur, à sans doute moins d'un kilomètre. Cette plage mêlait falaises, roches et sable, c'était ça qu'il appréciait tant. La ville était reculée par endroits, afin de laisser la place à la nature. Cette falaise n'était pour les gens qu'une pierre d'une douzaine de mètres, qui agrémentait le paysage afin d'en rompre le côté linéaire. Lui,  il y voyait un lieu privilégié, d'où la vue devait être incroyable sur la mer. Il n'y était jamais allé, son esprit s'illuminait simplement de fantasmes à ce sujet. Il attendait d'avoir une bonne occasion pour y aller, afin de pouvoir s'y forger un souvenir à la hauteur de ses attentes. Après généralement quelques dizaines de secondes silencieuses, passées à scruter la roche, il se détournait calmement, l'air rêveur, et ses jambes le menaient d'elle même à l'endroit où il passait le reste de son temps.

Ses pas mécaniques, assurés, le dirigeaient toujours vers la pierre fétiche sur laquelle il avait grandit. Il aurait su la retrouver les yeux fermés, la décrire en détails. Typique forme de pointe, aplatie en son sommet, perdue au milieu d'autres roches presque similaires. Elle n'était ni grande, ni belle, ni spéciale, en réalité elle n'avait de valeur que parce qu'il daignait lui en donner. Alors qu'elle paraissait si imposante lorsqu'il était jeune, elle ne lui parvenait désormais plus qu'au dessus de la hanche. Il reprit la position qu'il adoptait toujours, ainsi juché sur son promontoire minéral: Une jambe repliée contre son torse, l'autre pendant sur le long de la pierre, et le bras soigneusement appuyé sur son genou. Pas la plus confortable des choses, il en était conscient, mais l'idée de changer d'habitude le répugnait, alors il affrontait sans broncher les fourmillements désagréables qui irradiaient souvent dans ses membres après quelques temps passés sans bouger. Cette routine datait de dix ans, aussi ne voyait-il aucun intérêt à la modifier maintenant.

Un fin sourire s'étira sur ses lèvres lorsque, enfin détendu, il posa les yeux sur les vagues. Leurs roulements résonnaient délicieusement à ses oreilles et l'air marin lui emplissait les poumons. Un parfum de sel et d'algues, l'iode et la fraîcheur. Pour ne pas changer, son ami était encore en retard. Cela devait être génétique, il n'y avait pas une seule rencontre à laquelle il était arrivé à l'heure. Le jeune homme s'étira, pensif, et porta après réflexion attention à sa montre. Dix huit heures trente deux, un dimanche soir, sans jour férié le lendemain, cela pouvait paraître étrange comme moment pour se croiser. Seulement, avec les études, et les petits boulots pour arrondir les fins de mois, c'était la seule véritable occasion de se voir: après les révisions. Le reste du temps, ils étaient tous deux trop fatigués pour souhaiter bouger tard, ou avaient d'autres priorités. Il ne s'apercevait pas que ses pensées commençaient à lentement dévier vers les occupations de semaine, et en fut tiré par une voix claire qui vrillait son tympan droit:

SauteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant