Sigma se réveilla relativement tard. Pour lui, 9 heures, c'était ce qu'il considérait comme relativement tard. Sa première pensée fut qu'il avait besoin de café. À peine levé, il en commanda à la réception, ça agrémenté d'un petit déjeuner composé de pain perdu et d'œufs brouillés.
Il avait un mauvais pressentiment vis-à-vis de cette journée, une impression si pesante qu'il alla ouvrir la fenêtre pour s'allumer une cigarette. Il fumait fort peu, mais là, il en avait besoin. Il inspira la nicotine à plein poumons et la laissa engourdir son cerveau.
On toqua à sa porte. Sigma alla ouvrir et récupéra son plateau. Il allait refermer la porte de sa suite quand l'employé l'interpella.
- Au fait, Monsieur, il faut que vous sachiez que demain aura lieu votre partie contre M. Dostoievsky. Bonne journée !
Sigma resta un moment devant sa porte fermée, clignant des yeux de temps en temps, voyant ses pensées défiler devant ses yeux. Il allait réellement l'affronter. Le meilleur joueur d'échecs soviétique, et probablement le meilleur au monde. Sa main en tremblait. Il saisit son poignet pour la retenir.
Il prit une longue bouffée de fumée et se mit à table.
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De son côté, Fyodor venait à peine d'ouvrir les yeux. Son amant, quand à lui, dormait toujours, les cheveux éparpillés sur les draps.
Le soviet nouvellement dépucelé sortit du lit avec quelques difficultés avant de s'écrouler sur le sol moquetté de sa suite. La joue aplatie contre terre, il appuya sur ses bras frêles pour se relever.
Il fut alors pris d'une forte envie de vomir.
Après avoir rendu les quelques amuses-bouches qu'il avait réussi à ingérer, il se dirigea péniblement vers sa fenêtre pour l'ouvrir et respirer l'air frais du matin sur Mexico en 65.
Ses cheveux légèrement ébouriffés s'élèverent au grés de la légère brise qui soufflait alors.
Il n'avait jamais été aussi perdu dans ses sentiments. Ce que lui et Nikolai avaient fait hier soir était inattendu et plus qu'inconvenent. Mais c'est en rougissant qu'il se rapella le plaisir intense qu'il avait ressenti.Il devait couper tout lien avec Kolya, pour le bien de sa carrière et tout ce qui allait avec. Ses mains tremblaient violemment sur la balustrade. Mais elles cessèrent bien vite de bouger quand celles de Nikolai vinrent se poser dessus, le torse de ce dernier frôlant le dos de Fyodor.
- Je t'ai réveillé ? s'enquit celui-ci dans un soupir.
- Non non... mais j'avoue que j'aurais aimé te voir à mes côtés à mon réveil.
- Ah. Dommage.
La voix impassible du Russe tremblota quand il sentit un baiser fleurir au creu de son cou, lui rapellant l!obligation qu'il s'était imposé plus tôt.
- Kol... Nikolai, écoute, je...
Il sentit une énorme boule d'embarras et d'angoisse se former dans sa gorge. Il se retourna face à son compagnon.
- Ce qu'on a fait la nuit dernière, c'était bien. Sincèrement. Mais on doit s'arrêter là. Je tient à toi mais je préfère me... me concentrer sur ma carrière. Je suis désolé.
Il se dégagea et alla enfiler des vêtements.
- Ta... ta carrière ?!! s'exclama Nikolai.
La boule grossit.
- Tu préfères te concentrer sur ta carrière plutôt que sur nous, ou même sur ta santé ?
- ...
- Tu as failli te-..
La respiration de Fyodor se faisait légèrement erratique. Il crut même ressentir les insectes grouiller sous sa peau, dans sa chair.
- J'ai besoin d'une cigarette..., articula-t-il de façon à peine audible à cause de sa gorge contractée.
Il coinça une clope entre ses lèvres fines et froides et voulu actionner le briquet, en vain.
Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois.
À chaque tentative, la pièce lui semblait plus petite, plus serrée, plus étouffante. Une larme coula lentement sur la joue.
Ses mains fines, réunies autour du briquet, furent bientôt entourées par celles de Kolya, qui lui prit l'objet pour l'actionner du premier coup et allumer la cigarette.
Fyodor tira une taffe et prit la clope entre son index et son majeur. Sa main tremblait toujours et son regard se faisait fuyant. Ses yeux étaient brillants et humides.
- Demain, j'affronterai Sigma. Et... et je ne sais même pas si je pourrais le faire. Si je craquerai ou si j'échouerai juste contre un américain. J'ai peur, j'ai peur de tant de chose, j'ai peur de te perdre, j'ai peur d'échouer, j'ai peur de perdre tout ce que j'ai... j'ai...
Sa gorge était tellement contractée que ses mots s'y étouffaient douloureusement. Deux autres larmes avaient rejoins la précédente. Fyodor ne s'était jamais senti si vulnérable, si découvert, pire que la veille.
Il voulut à nouveau commencer une phrase, pour tenter d'extérioriser ses démons, ses angoisses, ses problèmes, mais en vain. Ses paroles s'étranglèrent dans un sanglot amer.
Nikolai, alors étonné par cette soudaine confidence suivie de l'abyssale tristesse qui avait creusé les traits de son ami, prit la cigarette pour l'écraser dans le cendrier.
Puis il passa lentement ses bras autour de la taille élancée de Fyodor et le ramena contre lui, toujours sans un mot. Puis il la serra avec douceur. Le Russe glissa alors ses bras fins dans le cou de son amant, se blottissant contre lui. Puis il se laissa pleurer. Il pleura longtemps et en silence. Il laissa tout sortir, tout ce qui le consumait de l'intérieur depuis qu'il était devenu le champion des putain de soviétiques.
Ils restèrent ainsi un moment, l'un contre l'autre, corps contre corps, cœur contre cœur, jusqu'à ce que Fyodor reprenne une respiration normale et que les larmes cessent de couler.
Les deux amants d'Europe de l'est finirent par se détacher d'un de l'autre, puis ils échangèrent un baiser plein de douceur, de compassion, de réconfort et d'amour.
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Fin du chapitre 11
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The King's Gambit [Fyolai]
FanfictionPrintemps 1965 Fyodor Dostoievsky, champion d'échecs de Russie, doit se rendre à Mexico City, accompagné de la vice-championne, Iva Tourgueniev. Là-bas, il devra plus que tout lutter contre son addiction grandissante face à la pression que sa nation...