Un carnaval pour Hector

3 1 0
                                    


Il était une fois un pays à l'intérieur duquel il était possible de croiser un oiseau gigantesque en train de converser avec un dinosaure aussi minuscule qu'une pomme. Et ce duo était loin d'être une excentricité ! Une fois, on avait surpris un zombie se quereller avec un dragon pour obtenir une meilleure place lors d'un ballet organisé par des ratons laveurs.

Le lendemain matin, ce zombie s'était subitement transformé en ornithorynque sans que cela choque les autres. Et pour cause, le dragon devint un lama. Vous imaginez sans nul doute que vous êtes devenu fou, qu'il est impensable et donc impossible de croiser un tel méli-mélo d'espèces et de créatures fantastiques. Pas d'humains, c'était une catastrophe ! Or, je vous l'assure : tout ce beau monde était humain.

Oui. Humain. Derrière chaque animal et créature imaginaire, il existait un humain. Jeune ou plus âgé, femme ou homme, ils se camouflaient du matin au soir dans des costumes extraordinaires. De la soie, des rubans, des plumes, des écailles, des fils, des chignons, des griffes, des lames, de l'or, toutes matières se pliaient et s'harmonisaient au gré des envies de leurs créateurs.

Cette farandole de créativité et de couleurs amusait le petit Hector. Il avait un joli minois de renard, un nez bien pointu toujours prêt pour flairer les petites curiosités et enquêter dessus. Deux petits yeux en amande et rapprochés, rêveurs et mutins. L'air distrait, le sourire bienveillant, il aimait découvrir les autres, même si sa nature réservée le tenait éloigné de son objet d'étude.

Chaque jour, il changea de costume, aidant ses parents à confectionner de petits éléments. Il admirait la constance des broderies, les lumières se reflétant dans les perles, la douceur des tissus moelleux. Les petits détails attiraient toujours son attention, le laissant admiratif et songeur. Ce qui lui plaisait davantage, c'était de trouver un lien entre l'humain et le costume. Pourquoi le voisin se déguise en dindon uniquement certains jours ? Pourquoi son grand-père met un costume de bagnard pour aller à la banque ? En l'entendant poser autant de questions, son père marmonna un :

— Tu es un sacré fouineur...

Ce à quoi son grand-père, très flatté que Hector comprenne son petit manège, rétorqua :

— C'est un observateur.

— La société n'a pas besoin d'observateur, elle a besoin de gens qui agissent, ajouta le père.

— La société étant un ensemble d'humains aussi complexe que mon dernier costume, il va être compliqué d'en parler au singulier, bougonna la grand-mère.

Les grands-parents de Hector lui venaient souvent en aide devant son père qui organisait chaque année un immense défilé avec les plus beaux costumes. Attention, il réclamait que les beaux costumes, ceux qui brillaient le plus, ceux qui époustouflaient le plus.

Hector ne pouvait jamais y participer, parce que ses costumes n'allaient jamais. Le père d'Hector inventait chaque année des excuses pour ne pas envoyer son fils défiler avec les autres. Il manquait un détail, un petit quelque chose farfelu qu'il déclarait sur le champ être essentiel. Hector espérait qu'avec son costume de dinosaure il allait enfin pouvoir se rendre au défilé. Il avait travaillé son personnage : le dinosaure était un papa dinosaure qui se rendait au travail avec une petite valise. Il avait tout fait tout seul, coutures, pois blanc, crête, système pour cracher de l'eau... parce que les flammes, ça pouvait être dangereux.

En vain. Il fut une nouvelle fois recalé, et comme toujours, son père invoqua mille prétexte pour le tenir éloigné de la fête. La crête était trop épaisse, les pattes dépassaient de deux centimètres sur la droite, les pois n'avaient pas un diamètre réglementaire...

Hector était une nouvelle fois déçu. Les années précédentes, il haussait les épaules, finissait son repas et se contentait de regarder le défilé de loin sur le balcon. Cette année, l'histoire sera différente. Lily, sa meilleure amie, habitait dans une immense fabrique tenue par ses parents. Ils avaient terminé le projet secret. Hector avait dessiné son costume grâce à l'aide de ses grands-parents, il avait demandé à Lily de le réaliser. La petite avait accepté à une seule condition :

— Est-ce que tu sais pourquoi l'institutrice revêt un costume de pingouin ?

Une enquête sans grande difficulté pour Hector, lui-même s'était posé la question en début d'année scolaire. Il avait mené son enquête avec un grand soin accordé aux personnes concernées. Pas question d'aller trop loin, de faire du mal, de se servir des autres pour ses intérêts. Il fallait obtenir les réponses avec de l'élégance, de la subtilité et de la patience, toujours son tendre sourire aux lèvres.

L'institutrice lui révéla que son mari adorait ces animaux polaires, il avait organisé une expédition et son navire avait coulé sur le chemin du retour. Depuis, en son hommage, elle portait le costume de pingouin, un costume qu'elle avait en plusieurs exemplaires – pour varier les couleurs. De ce fait, les mauvaises langues la critiquaient souvent parce qu'ils ne comprenaient pas son choix ou ne voulaient pas l'accepter. Pour eux, changer souvent de costumes constituait une norme ; il était donc difficile de s'en affranchir.

— C'est une histoire triste, songea la petite Lily en scrutant l'institutrice au loin. Mais c'est beau, elle a toujours son amoureux avec elle.

Hector hocha la tête, Lily avait toujours la plus belle voix pour mettre en forme les idées qu'il peinait à exprimer. Lily ne se plaignait jamais des particularités de son meilleur ami, au contraire, elle l'encourageait à cultiver sa personnalité. Et chose promise, chose due. Elle vint dans l'après-midi apporter le costume d'Hector.

C'était un paquet énorme pour la fillette gravissant avec peine la petite colline au-dessus de laquelle la maison d'Hector se dressait. Lily déposa la commande sur le palier, sonna à la porte et salua les grands-parents d'Hector avec une grosse bise sonore.

Le petit garçon était fou de joie, son costume était le meilleur et il comptait bien parader fièrement dans les rues auprès du char des parents de Lily. Incapable de choisir un costume, de trouver une idée, de s'arrêter sur un projet précis, Hector s'était amusé à les mélanger tous. D'abord de manière grossière pour rire de sa mésaventure, puis de façon plus soignée, sentant un filon à exploiter. Son grand-père lui avait donné un coup de pouce en suggérant d'empiler ces idées.

— Comme ces constructions que tu fais avec les briques de couleur.

Alors Hector dessina une tête d'ours sur une tête de loup sur une tête de cerf sur une tête de hibou ! Le style était taillé pour se faire vif, géométrique, anguleux, seul le hibou possédait des traits plus arrondis. Les couleurs mêlaient du bleu et jaune, du vert et du beige, du rose et du gris. Il y avait des plumes, des flèches, des fleurs, des frises avec des triangles. C'était finement détaillé et peint à la main. Et quelle belle surprise en l'enfilant, le costume était léger à porter !

Le déguisement idéal pour Hector, à la fois voyant et pourtant discret, car le garçon se cachait dans la structure juste en dessous de la tête d'ours. Il était fier de cet équilibre qui lui ressemblait.

Ces grands-parents étaient très fiers de son travail, ils l'emmenèrent au plus près de la fabrique des parents de Lily et furent heureux de le voir se fondre dans le décor, à sa place. Il reçut les félicitations des ouvriers de la fabrique pour son idée de génie ! Les parents de Lily avouèrent qu'ils retravailleraient certainement avec lui pour les prochains défilés.

— Nous avons besoin de personnalités avec des idées, qui savent observer ce qui nous entoure, ajouta le père de Lily.

— On s'active beaucoup à la fabrique, lui avoua la mère de Lily. On sculpte, on taille, on peint, nous sommes très manuels et inventifs. Nous avons besoin de garder des traces de nos idées, concepts et costumes passés ou futurs. Tu es la bienvenue ici Hector !

Il ne gagna pas de prix, son père continua de l'ignorer, mais Hector était heureux. Il avait enfin pu participer à la grande parade et il recommencera l'année prochaine. Il griffonnait déjà de nouveaux costumes !

Texte : 2019

Constellations d'histoires (OS)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant