Freedom

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C'est décidé, elle part. Plus jamais il ne lui criera dessus, elle ne le laissera plus se moquer de son projet, son rêve, sa vie !

Non, Cléo ne se laissera plus faire. Elle doit faire vite, avant qu'il ne rentre.

Elle attrape sa valise, y enfourne jeans, culottes, t-shirts et chaussettes. Elle rajoute son vieux mp3 qu'il lui a offert l'année dernière, ce qui l'avait bien fait rire — qui utilise encore un mp3 à l'air du smartphone. Son ordinateur portable vient compléter la liste ainsi que son carnet et son maillot de bain, après mure réflexion, après tout, on ne sait jamais, elle pourrait pousser son voyage jusqu'à l'océan.

Une pointe de doute l'envahit. Est-ce vraiment la solution ? Doit-elle vraiment le quitter comme ça ? Elle pourrait rester, oublier l'affront et...

non. Elle sait très bien que si elle a un minimum de respect pour elle, il lui faut partir.

Elle traverse la maison, le cœur battant, sa valise à la main, en posant une dernière fois ses yeux sur le salon, la bibliothèque, cet espace cocooning qu'elle aime tant. Malgré tout, elle n'oubliera pas les bons moments qu'elle a passés, elle ne le laissera pas gâcher les bons souvenirs qu'elle a de cette maison, son chez-elle.

Cléo attrape les clés de la voiture, sa voiture à lui, mais qu'il lui prête la plupart du temps, alors c'est presque la sienne.

Elle ferme la porte à clé et les laisse sous le paillasson, elle n'en aura plus besoin. Mais elle s'en voudrait s'il se faisait cambrioler à cause d'elle, les habitudes ont la vie dure.

Elle ouvre la voiture, y dépose son sac et s'installe derrière le volant. Jamais son idée de fuite ne lui a paru aussi réelle et aboutie. Elle démarre le moteur, enlève le frein à main et met la première.

Et voilà, elle est libre maintenant. Une joie indescriptible la remplit, et pour se donner de l'entrain, elle allume la radio et monte le son. Comme en écho à sa situation, la chanson Freedom de Pharrel Williams se fait entendre et Cléo commence à fredonner par-dessus, et finit par chanter à tue-tête lorsque les haut-parleurs de la voiture entonnent le refrain.

Un Freedom dissonant envahit l'habitacle. Elle ne se retient pas. Plus personne pour lui demander d'arrêter de chanter. Plus de répression.

Freedom, freedom, freedom, freedom, freedom, freedoooooooom !

Maintenant, elle va pouvoir se préparer, entamer une nouvelle vie, aller au bout de ses rêves. Sans plus personne pour l'en empêcher. Plus de tyran domestique pour réprimer son ambition.

Elle commencera par suivre des cours, elle s'est bien renseignée. Cléo ira à Reims, c'est assez loin pour qu'il ne la retrouve pas et il y a tout ce dont elle a besoin pour amorcer son nouveau projet de vie.

L'aviation l'a toujours fascinée, c'est un rêve de petite fille qu'elle a dû mettre en sourdine, lorsqu'il s'en est moqué. Elle n'a pas pu s'empêcher de continuer à faire quelques recherches, même après avoir bridé son rêve. Son carnet est rempli de toutes les informations nécessaires du monde aéronautique.

Elle compte se rendre le plus rapidement possible à l'aérodrome, une fois qu'elle aura posé ses bagages. Elle est prête à tout, enfin, mis à part le ménage, il ne faut pas exagérer non plus.

Il faudra peut-être qu'elle trouve un petit travail à côté, pour subvenir à ses besoins.

— S'il le faut, je travaillerai, tout ce qui compte, c'est que je réalise mon rêve.

Elle est prête à se le répéter autant de fois qu'il le faut pour s'en convaincre.

Son estomac gargouille, elle a oublié de manger avant de partir. Ça ne fait que quelques minutes qu'elle est partie et elle va déjà devoir s'arrêter. Ce n'est pas grave, de toute façon, il doit bien lui rester une bonne heure de travail avant de rentrer, elle ne risque pas de le croiser dans un resto. Surtout au Mc Do.

Elle prend la direction du fastfood, qui l'éloigne de sa destination, mais elle aura tout son temps, une fois rassasiée.

À la borne, elle craque et se prend un menu Maxi Best Of, avec un Sundae. Ça fait un moment qu'elle n'en a pas mangé. Elle s'installe à une table. Il est 16 h, un peu tard pour manger, mais elle a été tellement préoccupée qu'elle en a oublié de se nourrir.

Lorsqu'elle termine son repas, elle sent qu'elle est prête, sa détermination n'a pas failli, au contraire.

Forte de sa résolution, elle reprend la route.

— Reims, me voilà ! Byebye, la région parisienne.

Accaparée par la nouvelle vie qui s'offre à elle, elle ronchonne lorsque son GPS tombe avec son support à ses pieds. Alors qu'elle attaque un rond-point, elle se penche pour le récupérer, quittant la route des yeux.

Soudain, le volant lui rentre dans le front, un choc, brutal, résonne jusque dans ses os. Un bruit, et plus rien, la voiture est à l'arrêt. Cléo est hébétée, elle ne parvient pas à comprendre ce qu'il s'est passé. Pourquoi la voiture s'est-elle arrêtée ? Au bout de son capot, un autre véhicule, un peu trop proche, tellement proche qu'il est encastré dans le sien.

Non, non, ce n'est pas possible, elle n'a pas pu avoir un accident, il n'y avait aucune voiture devant elle, comment a-t-elle pu s'emplafonner dans la seule camionnette garée ?

Les larmes envahissent ses yeux, c'est trop pour elle, elle ne peut pas gérer ça. Elle attrape frénétiquement son téléphone et compose un numéro. Il décroche au bout de quelques secondes.

— C'est moi, tu peux venir ? Je viens... d'avoir un accident. Je suis... pas loin de l'école Daudet... au rond-point.

— J'arrive, ne bouge pas.

Cléo raccroche et fond en larmes, tant pis pour sa liberté, tant pis pour son rêve.

Étonnamment, personne ne passe dans la rue jusqu'à ce qu'il arrive, une quinzaine de minutes plus tard. Il se gare derrière elle, met les warnings et sort à toute vitesse.

— Cléo, ça va ?

— Je suis désolée ! Je voulais juste...

Il la serre contre lui, lui tapotant le dos, pour essayer d'apaiser ses sanglots. Lorsqu'elle se calme, il prend les choses en main. Dégage la voiture. Laisse un mot sur la camionnette endommagée pour donner ses coordonnées, remet les clés de sa voiture à la jeune femme et attrape les siennes pour qu'ils rentrent chez eux.

Il vient lui ouvrir la portière, alors qu'elle est encore sidérée, les yeux dans le vague.

— Allez, sors. Je vais te faire un thé.

Alors qu'elle descend de la voiture, il aperçoit sa valise sur le siège arrière.

— Tu comptais partir ? Sans prévenir ?

— Je... voulais essayer...

— Encore ton idée de pilote de chasse ? Cléo, tu réalises ? Qui dit pilote de chasse dit armée. C'est pas voler dans un coucou au bon gré de ses envies ! Tu veux vraiment faire des missions de reconnaissance, tirer des missiles, combattre ?

— Je... non, je veux juste voler.

— Tu n'as qu'à prendre des cours. Et on va te trouver un vrai travail.

— Tu as raison, papa.

Finalement, elle était peut-être mieux chez elle, certains rêves sont faits pour n'être que ça, des rêves.

Lili Wälly

Auteure d'Effacer l'indélébile

Nouveau départOù les histoires vivent. Découvrez maintenant