PROLOGUE

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Une nuit de plus dans le désert. Une nuit glaciale qui meurtrissait mon corps fatigué et amaigri.

Mes geôliers, les vautours des sables comme ils se nommaient fièrement, étaient de simples arrivistes, des marchands d'esclaves.

Pas plus de 7 cycles de vie, que mes parents m'avaient vendue pour quelques provisions et tissus grossiers. Se débarrassant d'une bouche de trop à nourrir. Se débarrassant d'une enfant portant la marque des esprits. Une enfant maudite.

Mon épiderme fragile et atypique avait tout de suite motivé ces hommes du désert. Une peau noire comme la pupille de mes yeux, mangée par une peau blanche comme le lait de la brebis.

En journée, le soleil mordant ne m'affectait pas. Les marchands me recouvraient intégralement afin que ma carnation blanche ne se teinta pas. Précaution essentielle afin de préserver ma valeur marchande.

A leurs dires, une vie fabuleuse m'attendait au palais d'un grand Roi, cadeau de choix pour l'un de ses fils, mon aîné de plus de 15 cycles.

La peur était devenue une fidèle amie, bien devant la faim et le froid. Je ne cherchais pas à croiser le regard des autres esclaves, ni en savoir plus sur eux, gérer mon existence me suffisait. D'ailleurs, plus d'un me jetait des œillades sombres, assassines. J'étais la seule à bénéficier de suffisamment d'eau, de vêtements, et d'une cage de transport m'évitant de marcher des heures dans le sable lourd et brûlant.

Cette nuit, le disque d'argent illuminait les dunes de sa lumière blanche, fantomatique. Cette nuit changerait définitivement mes prochains cycles de vie.

Un hurlement atroce m'arracha de ma somnolence. Je n'osai bouger, les sens en alerte. A peine ma respiration soulevait mon corps malingre. Mes yeux scrutèrent le campement... Et je les vis !

Ces Êtres des récits horrifiques contés au coin du feu à travers tout le royaume de Koush. J'avais la preuve terrifiante qu'ils n'étaient pas que chimères.

Tels des oiseaux de brume, insaisissables, ils virevoltaient dans le campement mis à sac. Capharnaüm de cris vrillant les tympans, de corps courant en tous sens et d'odeurs de sang, d'urine, de terreur.

Ces Êtres tuèrent méthodiquement tout Humain. Pillant les cadavres et dévalisant les tentes de leurs possessions.

J'espérai qu'ils allaient m'oublier au fond de ma cage de roseaux. Mourir de soif, perdue dans le désert, sous l'astre de feu au zénith, me parut alors sort plus enviable.

Des larmes, que je croyais taries à jamais, dévalèrent sur mes joues sales.

Un de ces Êtres venait de s'arrêter net à plusieurs mètres de ma cage. Il huma l'air profondément. Et, comme dans un cauchemar, sa tête pivota dans ma direction. Ses yeux me saisirent.

Il avança lentement. Prédateur amadouant sa proie. Je connaissais ce mouvement mesuré, calculateur, dangereux. Mon père le pratiquait régulièrement sur mon troisième frère.

Le prédateur était une femme, à peine vêtue de voiles blancs tachés du sang de ses victimes, un couteau dégoulinant de viscères à sa dextre.

Elle me parla doucement, mais ce langage exotique m'était inconnu. Plus elle réduisait notre distance, plus je distinguais les traits de son visage. Une beauté terrifiante : deux longues canines ressortaient de sa bouche pleines d'un liquide vermeil, ses iris éclaircis par le disque d'argent nocturne dévoilèrent des pupilles quasi inexistantes.

Comptait-elle me dévorer ? Arracher ma chair en fins lambeaux sous mes cris d'agonie ? Ou pire, m'offrir à ses pairs qui s'approchaient à leur tour ?

A ras des barreaux, elle respira mon odeur comme le ferait un animal. Elle persévéra à entrer en communication, me souriant même. Ses dents se rétractèrent alors et ses yeux se remplirent de larmes.

Elle fit sauter le verrou de ma prison d'un seul coup de lame et tendit sa main m'invitant à la saisir.

Je restai interdite. Mon cœur martelait si fort dans mes oreilles. La peur me déserta pour laisser place au néant. Je ne savais plus quoi ressentir. Pour une raison qui m'échappait, cet Être m'attirait.

Ses acolytes s'agenouillèrent, comme si un ordre muet venait d'être donné.

Mon bras se tendit pour aller à la rencontre de cette main souillée de sang.

Brutalement, la femme s'effondra en avant, une flèche traversait sa gorge. Son fluide vital m'éclaboussa alors, accompagné de ses derniers râles de vie. Mon cœur s'étreignit et tout un flot d'émotions me submergèrent. Violemment.

Un de ces pairs se redressa et liquida d'un jet de lame précis, un marchand, seul Humain encore vivant en ces lieux. Une satisfaction folle s'empara de moi devant l'exécution. La saveur de la vengeance.

Cette dernière nuit passée dans la cage venait de révéler ma nature. Cette dernière nuit où je réalisai que je n'étais pas plus Humaine que ces Êtres de légendes.

Les Léviathans venaient de trouver en moi une Murmureuse. Âme antique vénérée par le peuple serpent depuis la naissance de ce monde. 

L'Etreinte des Murmures /\ Sous contrat d'édition. Elixyria Éditions~2024.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant