.Paradis Blanc.

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Il faisait très sombre, aujourd'hui. Le ciel était parcouru de nuages voyageurs, qui prenaient un malin plaisir à masquer les rayons du soleil, qui déjà, n'éclairait pas grand-chose. Cette sorte de clair-obscur un peu étrange baignait la Ville d'une aura rouge sombre ; ce qui aurait pu lui conférer un air sinistre et sanguinaire, mais c'était le contraire.

Cette lumière particulière teintait tout de douceur, floutant les contours trop coupant, arrondissant les angles aggressifs

Norem passa la main dans ses cheveux mi-longs. Il soupira lentement, détendu, un Clin dans la main.

Le Clin était une boisson très appréciée sur Ganymède. Elle se buvait chaude, et sa saveur se rapprochait d'un mélange entre un litchi, de la cannelle, et du lait de soja. Vespera savait qu'elle n'aimait pas du tout son goût si spécial, mais Norem la savourait avec un air béat, en extase.

- Ça fait teeeellement longtemps que j'en ai pas bu ! J'ai l'impression d'avoir encore dix ans..., dit-il en laissant son regard aux lentilles dorées vagabonder sur la rue parée de fleurs devant eux.

Ils étaient dans l'un des quartiers les plus décoratifs de la Ville. Le quartier aérien.
C'était un endroit hors du temps, maintenu en l'air par une force d'apesanteur générée par les plantes, abondantes dans ce petit coin. Leur odeur sucrée se répandait dans l'air. Vespera respira profondément ; elle aimait les fleurs, surtout les violettes.

- Tu penses qu'il a... fini ? interrogea t'elle, peu désireuse de rester trop longtemps. Sans qu'elle sache trop pourquoi, la jeune fille avait du mal à se détendre. Pourtant, elle était impossible à reconnaître, et accompagnée par quelqu'un en plus. Ce sentiment d'oppression qu'elle ressentait depuis qu'elle était ici, qui pesait sur son estomac...

Elle aussi aurait aimé boire quelque chose avec le même sourire calme que Norem.

Norem, qui d'ailleurs ne se rendait pas du tout compte que tous les passants, hommes et femmes, le regardaient avec admiration et convoitise. Il devait s'être habitué depuis longtemps à ces regards.
La jeune fille ressentit une pointe de jalousie. Elle qu'on avait toujours considéré comme une sorte de fantôme transparent. Mais elle était assez bonne joueuse pour reconnaître que, face à Norem, n'importe qui aurait tourné la tête pour le voir, ou encore donné ce qu'il pouvait pour faire partie de ses relations.

Et, d'un coup, être à la même table qu'un garçon aussi admiré lui fit se sentir bien. C'était elle qui avait le privilège de lui parler, aujourd'hui, pas eux.

- Tu aimes les fêtes ? lui demanda-t-elle d'un coup, sans aucun lien avec la conversation.

- Heu, pas vraiment. Mais j'aime bien les spectacles, remarqua-t-il presque pour lui-même.

- Ah, et quel genre de spectacle ? continua Vespera, profitant du fait de pouvoir rendre jaloux ceux qui la verraient.

Elle avait ce côté enfantin de vouloir toujours attirer l'attention. Briller grâce aux autres plutôt que par elle-même. C'était un défaut grotesque, parce qu'elle aurait tout à fait pu se permettre d'être le centre d'admiration de pas mal de monde, mais c'était comme ça. Chacun des défauts, comme on dit. Par exemple, elle ne voulait pas vraiment savoir à quel genre de spectacle Norem aimait aller.

Elle voulait juste le faire parler pour capter son attention.

Il sirota son Clin, et effleura légèrement le doigt de la jeune fille, comme par mégarde.

Mais c'était pour tout autre chose.

- J'aime bien... les cirques, les opéras, les pièces de théâtre, et les ballets Zar.

- Ballet Zar ? ne pût s'empêcher de demander Vespera, qui n'en avait jamais entendu parler.

Norem la regarda avec des yeux ronds, mais sembla se rappeler que la fille en face de lui était la personne la moins au courant du monde extérieur, de toute la Ville au moins. Donc, il se retint de sortir une remarque.

- C'est une sorte de... comment dire... ce sont des endroits secrets, où l'esprit est connecté à une machine, et où tu contrôles tes visions. Une hallucination volontaire, et c'est très prisé par les drogués en manque, expliqua-t-il en prenant son temps pour choisir ses mots.
Ça vaut la peine, conclut-il.

Et de reprendre une longue gorgée de sa boisson.

- Ah... ça a l'air intéressant.

*

La sueur au front, Shi venait de finir de vider la rue. Tout avait été nettoyé. Il savait mieux que personne comment se débarrasser de preuves embarrassantes, et personne ne pourrait rien montrer à la police maintenant, même s'ils avaient vus quelque chose, pour une excellente raison ; il n'y avait plus rien du tout.

- Pfff... je suis fatigué. J'espère qu'ils vont rentrer tard, dit-il pour lui-même, en prennant la dernière cigarette de son paquet.

- Tu devrais en racheter, murmura une voix derrière lui.

Shi pensa d'abord deux choses.

La première ; si quelqu'un lui parlait comme ça, c'était certainement pour beaucoup de choses, mais pas pour aller boire un verre tous les deux.

La deuxième, c'était que pour parler aussi bas, il devait être tout prêt.

Il sortit en un éclair son couteau serpent, aussi souple et tranchant qu'au premier jour, et le plaça sous la gorge de l'homme.

Homme ?

L'être en face de lui n'en était pas un. Mais, ce n'était pas une femme non plus.

En fait, l'être avait le corps fin, le visage mixte, et surtout, une absence de poitrine. Sans parler de la proéminence légère au niveau de l'entrejambe, signifiant un sexe masculin.

Tout cela, en plus de la présence de minuscules cornes dissimulées dans les cheveux, ne pouvait dire qu'une chose ;

C'était un Puxer.

- Tu es un... de ces hermaphrodites ? souffla Shi en entaillant la peau dorée de son captif.

- Oui, bravo, tu es cultivé.

Sans aucun effort, l'être se dégagea de l'emprise de Shi. Il se tenait maintenant devant lui, et rien n'était plus déstabilisant que de ne pas savoir comment était-ce possible que ce clignement d'oeil soit tantôt celui d'une femme, tantôt celui d'un homme.

- Bref, je ne suis pas venu te faire une leçon sur la façon " ATROCE" dont nous sommes traités...

Il insista sur " atroce ", d'un ton dramatique, rejettent ses longs cheveux blonds d'un geste élégant.

- ... mais pour te proposer un marché. Le Régnant souhaite retrouver sa fille, et tu es le meilleur traceur de la Ville. Si tu acceptes, c'est la liberté pour moi et la richesse pour toi, insista t'il, en lançant une oeillade charmeuse.

Shi rit. Si seulement... le Régnant lui demandait ça alors que sa fille était chez lui...

Il n'y tint plus. Il explosa de rire, sous l'air méprisant de l'hermaphrodite qui attendit patiemment que son épisode d'hilarité soit terminé.

- Non, désolé. J'ai d'autre chats à fouetter, et pas le temps, dis-lui que je regrette. Et, pour ta liberté, tu es totalement capable de lui échapper par toi-même, vu comment tu l'as fait tout à l'heure pour moi, lança-t-il au Puxer.

Ce dernier lui tourna le dos, furieux.

- Très bien. Tu vas le regretter.

L'heure Bleue Où les histoires vivent. Découvrez maintenant