.Funambule.

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- Mais t'es malade ou quoi, descend de là ! cria Norem, à l'intention de la fille, qui lui serrait les épaules fermement pour ne pas tomber.

- Ta gueule ! Avance plus vite, on doit partir ! répliqua-t-elle, d'un ton rauque et aggressif.

Norem se promit de régler ses comptes avec elle en arrivant. Mais il devait reconnaître qu'elle avait raison. Ils étaient lancés à grande vitesse sur la piste, et s'arrêter était dangereux, encore plus en sachant que le Régnant avait peut-être envoyé des gardes les suivre.

Il serra les dents. Pourquoi fallait-il toujours qu'il vive des situations compliquées, pourquoi ne pouvait-il pas simplement être heureux, paisiblement, à vivre dans une jolie maison, avoir une petite amie, et un travail facile ?

Il avait eu la malchance d'être né avec des yeux bleus.

Plusieurs fois, Norem avait voulu se rendre aveugle. S'arracher ces pupilles de la couleur du ciel terrien, pour ne plus voir la cruauté du monde. Mais l'instinct de survie prennait le dessus à chaque fois. Alors, se rendant compte qu'il était incapable de le faire, il s'écroulait par terre et pleurait, en se disant qu'il était misérable.

Le sable devenait plus rare. Des bandes de bitume apparaissaient, et la Ville se rapprochait.

Shi ralentit. Les premières maisons, en bordure, ressemblaient à des jouets en carton fragile. Dedans, vivaient les plus pauvres habitants de la Ville, ceux qui n'avaient même pas les moyens de se payer un appartement dans le Fond.

Ils dépassèrent vite les maisons, pour arriver près des garages. Le leur, celui à qui Shi avait loué les motos, allait être furieux. Il en manquait une, celle de Vespera...

Norem ralentit aussi. Shi s'était stoppé. Ils descendirent. Vespera essayait de marcher, elle avait l'air d'aller un peu mieux. Son regard était toujours empli de terreur, mais moins que tout à l'heure.

- Bon, j'y vais, reste là et dis à la fille de dégager, marmonna Shi à Norem, après que l'albinos lui ai expliqué rapidement ce qu'il s'était passé pendant le trajet.

- Je vais essayer... soupira Norem, désabusé.

Shi entra dans le garage. Ça sentait le cambouis, et l'alcool. Les murs crasseux laissaient à peine imaginer qu'un jour, cet endroit avait été neuf.

- Ah, enfin ! Je commençais à m'inquiéter pour mes motos... dit un homme avec un grand tablier bleu tâché.

- Il en manque une. Je suis désolé, coupa Shi d'un ton froid.

L'homme voulût protester, mais le regard de Shi le dissuada. Le jeune homme était connu jusqu'au confins de la Ville comme quelqu'un à ne pas fréquenter, et même s'il manquait une moto, le garagiste préféra baisser la tête et ne rien dire.

- Bien. Bonne journée, marmonna l'homme, avant de tourner le dos.

Shi fonça. D'un coup sec, il planta le  couteau profondément dans le coeur, puis le tourna à l'intérieur pour être sûr de détruire complètement l'organe. Hors de question de laisser des traces derrière eux, si des hommes du Régnant les cherchaient.

Il essuya l'arme sur le tablier de l'homme, gisant à terre, inerte.

Puis, d'un pas léger, il fit demi-tour.

*

- C'est non.

Vespera venait de lâcher ces mots d'un ton sans appel, face à la fille qui avait sauté sur leur moto tout à l'heure. Ils étaient à présent dans l'appartement, tous les trois assis dans le canapé, la jeune fille en face d'eux.

Elle venait de leur demander si elle pouvait rester. Ils avaient tous déjà eu du mal à s'apprivoiser, c'était totalement impossible de faire entrer quelqu'un d'autre dans leur petit groupe.

Pourtant, elle n'en démordait pas. Comme si toute sa vie, elle avait été habituée à insister pour des causes perdues.

- On ne sait même pas comment tu t'appelles ! argua Norem, méprisant.

- Je m'appelle Lorelei, répondit-elle d'un ton las. J'en ai assez, s'il vous plaît, je me rendrais utile...

- Mais comment tu veux qu'on t'accepte !! On ne sait rien de toi, et en plus, si tu nous dénonce... commença Vespera, avant de se couper.

Pas besoin d'en dire plus, Lorelei avait compris que la légalité n'était pas leur fort.

Elle sourit. Son visage en forme de coeur était joli à voir, sous de longs cheveux roux et bouclés. De petites tâches de son constellaient sa peau bronzée, entourant même sa bouche ronde. Elle était petite, et maigre à faire peur, sans forme, mais à chaque mouvement, on distinguait des muscles durement acquis sur son corps. Un tatouage bleu ornait son épaule, représentant une comète.

- Donne-nous des raisons, lâcha Shi, froidement.

Elle baissa la tête. Elle avait l'air de réfléchir, pesant le pour et le contre. Vespera souffla, agacée. La jeune fille s'en voulait encore de son moment de faiblesse. Mais voir une caméra dans sa main, ce qui indiquait qu'ils étaient surveillés depuis le début, l'avait fait complètement perdre les pédales.

Qui disait qu'il n'étaient pas surveillés partout dans la Ville, jusque dans leur sommeil ?

" Je ne dois pas devenir parano ".

Mais c'était si facile de laisser la folie s'emparer de soi, quand on vivait au Palais. Chaque murmure, chaque rire, chaque compliment, cachait des moqueries et des complots.

- Ça va, comme raison ?

Lorelei venait de relever la tête, dévoilant deux iris bleu électrique. Un air de défi animait son visage, et elle s'était mise debout, prête à partir au cas où ça tournerait mal pour elle.

Shi poussa un petit sifflement admiratif.

- Tu manques pas de culot, toi. Qui te dit qu'on ira pas raconter à la police que tu es une Terrienne, une ennemie du peuple ? dit-il avec un soupçon d'ironie dans la voix.

- Je peux m'enfuir, si vous faites ça. Tout ce que j'essaye de faire, c'est me mettre en position de vulnérabilité, pour vous prouver que je vous fais confiance, répondit Lorelei, aussi pragmatique que s'il s'agissait d'un fait ordinaire.

- Vraiment stupide comme décision... Mais tu as de la chance, on est comme toi, intervint Norem avec un petit sourire.

Elle fronça les sourcils, sans comprendre.

- Vous êtes... des Terriens ?

- C'est pourtant clair, on vient de te dire que oui, soupira Vespera.

Elle reprit son apparence originelle, en un quart de seconde. Les yeux de Lorelei s'écarquillèrent d'étonnement, mais la seconde d'après, ils étaient remplis d'admiration.

- Je pensais vraiment être la seule... Ça fait bizarre, dit-elle dans un rire nerveux. Vous savez aussi faire des choses bizarres ? demanda-t-elle ensuite en penchant la tête sur le côté.

- Bon, allez ça suffit les questions. Et si on te faisait un interrogatoire, nous aussi ? intervint Shi, avec un rictus.

L'heure Bleue Où les histoires vivent. Découvrez maintenant