𝖈𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 𝟔

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Sana

J'ai envie de me pendre.

Cela fait deux semaines que je subis les repas de "famille" où j'ai plus l'impression de tenir la chandelle à deux adolescents que d'être avec deux parents responsables. Quelle angoisse.

Surtout lorsque Marco fait des allusions sexuelles à ma mère alors que je suis juste devant lui.

Je manque de vomir ma bouchée de spaghetti.

— Maman, coupé-je pour changer de sujet. D'ailleurs, tu pourrais signer une autorisation parentale pour l'école ?

Elle s'essuie les lèvres avec une serviette en tissu, laissant une trace de rouge à lèvre dessus.

— Pourquoi tu n'as pas demandé à Marco de le faire quand il est rentré ?

Peut-être parce que c'est tout sauf mon parent.

— J'y ai pas pensé.

Le concerné me lance un regard vicieux, l'air de me dire "tu es sûre de ça ?" que j'ignore vulgairement.

— C'est à quel sujet ? demande maman.

— Une compétition à l'école. Une compétition intellectuelle.

Elle se penche en avant, curieuse.

— Ah oui ?

— Pour élire le meilleur élève, continué-je fière.

Elle hausse les sourcils, surprise.

— Très bien. Tu me la donnes avant de dormir pour que je te la signe.

Parfait.

Je retiens mon sourire satisfait.

C'était pas si compliqué finalement. Je m'attendais à ce qu'elle démontre plus de réticence, mais on dirait que non. Cela me rassure. Je vais pouvoir gagner la couronne et m'enfuir loin d'ici.

— Non.

Je relève brusquement la tête. Ma mère tourne la sienne vers son homme.

— Elle n'a pas les moyens d'y arriver, continue Marco. Et je ne veux pas que mon nom soit sali parce qu'elle s'est ridiculisée en essayant.

Son nom ? Comme si je portais le sien...

Ma mère ferme la bouche, en touchant sa queue de cheval rousse. De fines rides se forment sur son front. Et là, je le sens. Je le vois. La façon dont le point de vue de Marco change toute sa vision, à elle. Comme s'il était ses yeux, son cerveau, son corps.

— Sana... commence-t-elle.

Non.

— C'est un lycée prestigieux, tu sais... Il a peut-être raison.

Et je garde tout en moi. Je crispe mes poings. Je me fais mal. J'essaie de retenir la colère qui me submerge. Pour ne pas qu'on m'insulte de folle ou de monstre. J'essaie de rester calme. J'essaie...

Mais je ne peux pas. Quand quelque chose me frustre ou m'énerve, c'est comme si ce sentiment se formait dans mon estomac et grandissait petit à petit, telle une bombe à retardement, n'attendant qu'une étincelle. Et finalement, tout explose.

Blessée, je sors, non en fait, je saute de ma chaise. La faisant valser au sol. Et je me retiens d'hurler sur ma mère parce que je ne souhaite pas lui faire de mal. C'est pour cela que je me retourne et m'apprête à partir, gardant mes émotions enfouies.

— Sana... S'il te plaît.

Je stoppe mes mouvements, sans pivoter vers elle.

Puis, j'attends. J'attends que ma mère s'excuse. Qu'elle me dise qu'il n'a jamais eu raison. Qu'elle croit en moi. Qu'elle m'aime et que ça ne changera jamais.

Mais...

— Ne te comporte pas comme ça, crache-t-elle à la place. Tu sais très bien que je te soutiens, mais c'est juste peut-être un peu trop gonflé de tenter cette compétition.

La boule de nerf prend trop de place. Je ne peux pas la canaliser. Ou je refuse de le faire. Peu importe, en réalité.. Je fais volte-face, la gorge nouée.

— Tu me soutiens, toi ? rié-je amèrement. Tu ne l'as jamais fait !

Debout, elle croise les bras pour tenter de se donner de la contenance devant son nouveau petit chéri. Que je toise d'ailleurs à l'instant.

— Tu le soutiens lui. Tu soutiens les hommes qui arrivent à te donner un peu de plaisir. Mais ta fille, elle, tu n'as jamais su le faire.

Elle écarquille les yeux, outrée par mon culot.

Je sais que ce sont des mots forts que je prononce à son égard. Mais ils sont vrais et elle doit les entendre. Même si je sais que je les regretterai ce soir, lorsque je serai seule face à moi-même et mon amère solitude.

— Surveille ta façon de parler, Sana.

— Oui, écoute ta mère.

— Ferme ta gueule toi, espèce de connard !

Ma gorge s'est déployée seule, trop tentée de lui jeter son venin au visage. Ma mère, elle, court me rejoindre pour m'attraper violemment le bras.

— Comment oses-tu lui parler de la sorte ? Sana, excuse toi.

Son visage face au mien me brise le cœur. Il me rappelle les fois où il était aussi près parce qu'elle me caressait les cheveux, sur notre canapé tout abîmé. Les fois où elle me jurais que les hommes c'était fini parce qu'ils lui brisaient tous le cœur.

Et maintenant, elle me regarde comme si j'étais un monstre. Comme si j'étais celle qui avait causé tous ses maux. Tout ça pour un homme.

J'empêche des larmes de perler sur mes yeux.

— Plutôt crever... soufflé-je enfin.

Je me retire de sa poigne et m'éclipse dans le seul endroit où je me sens un peu calme. Je claque la porte de ma chambre derrière moi, réveillant mon chat par la même occasion, puis ouvre la fenêtre, laissant un air gelée s'infiltrer dans la pièce sombre.

Je m'assis sur l'épais bord de celle-ci et allume une cigarette, les doigts tremblants.

La première taffe ne suffit pas à apaiser les battements de mon cœur. J'ai envie de détruire quelque chose. Cela marche toujours pour y remédier. Mais je me retiens. Je ne le fais pas et prends juste mon téléphone. Je vais dans l'onglet contacts d'urgence.

Je clique sur Leen.

Je pose le smartphone contre mon oreille, la respiration haletante, les nerfs à vif.

J'ai besoin d'entendre sa voix. C'est la seule chose qui arrive complètement à m'apaiser. C'est comme si son timbre doux déposait du baume sur mon cœur cassé.

Je me rends compte de la longueur du temps de réponse qu'à l'instant où une voix résonne :

— Allo ?

— Leen... chuchoté-je.

J'inspire et expire bruyamment, me demandant si je suis victime d'hallucination post-traumatique.

— Allo ? Vous allez bien ?

Chacun des muscles de mon corps se crispe.

Non. Ça m'a l'air bien trop réel.

Je jette mon appareil, fuyante.

Et je réalise.

Le numéro de ma meilleure amie morte a été rétribuée.

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