Chapitre 3 : Nouvelles réminiscences

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Les jours s'écoulaient tous avec la même monotonie, et Magnus avait fini par perdre la notion du temps. D'ordinaire, les immortels usent de petits riens et de détails, même minuscules, pour se repérer dans le temps, eux qui ne ressentent plus les effets de sa course. Pourtant, depuis la disparition d'Alec, l'Indonésien avait l'impression que les jours se ressemblaient et se confondaient, tant et si bien qu'il se serait cru dans une boucle temporelle. Le matin il se réveillait, s'habillait, voyait un ou deux clients, dînait seul en tête à tête avec le Président Miaou, puis il sortait prendre l'air à Central Park en suivant le même circuit depuis les cinq dernières décennies. Une fois sa ballade terminée, il se rendait au Pandémonium pour voir avec Ragnor les arrivages d'alcool et la mise en place de la salle pour l'ouverture avant de rentrer chez lui dîner avec ses fils. Ainsi était fait le quotidien de Magnus Lightwood-Bane-Fell. Et le sorcier devait avouer qu'il n'en pouvait plus de ces répétitions sans fins, de ces activités vides de sens qui ne lui procuraient plus aucun plaisir. Le sorcier ne se décrirait pas comme dépressif, plutôt lassé. Tout au fond de lui, il aspirait à retrouver l'amour, il rêvait d'une vie nouvelle, comme autrefois, pleine d'aventures, de rebondissements, de fêtes, de rires, de passion et d'espoir. Et pourtant persistait dans son cœur cette terreur de s'attacher à un nouvel être, de peur d'être abandonné et de souffrir une fois encore. Il avait ouvert son coeur à Alec comme à personne avant lui. L'asiatique lui avait tout donné de lui, lui avait fait voir toutes les facettes de son âme, des plus sombres aux plus tendres, en passant par les plus étranges et extravagantes. Et le noiraud l'avait aimé tout entier sans rien rejeter, acceptant chaque qualité et chaque défaut comme un trésor qu'il avait chérit tout au long de son existence. Malheureusement pour eux, ils n'avaient pas trouvé le moyen de rendre le Chasseur d'Ombre immortel. Où, tout du moins, pas en lui rendant sa jeunesse fanée. Rafael, lui, avait pu bénéficié de cette avancée magique puisqu'il était encore jeune et dans la fleur de l'âge, mais Alec avait quatre vingt dix ans, et il ne se voyait nullement rester éternellement au bras de son homme avec ses courbatures, son arthrose, ses rides, ses cheveux blancs et ses douleurs chroniques. Non pas que l'un de ces éléments ait dérangé Magnus, mais l'Indonésien savait que la vie aurait été pénible pour son Alexander. Alors il l'avait laissé partir, et son cœur était parti avec lui.

Dans un soupir, le Grand Sorcier de Brooklyn traversa donc l'un des coins préféré de Central Park de son cher et tendre disparu en se demandant encore comment l'organe vital dans sa poitrine pouvait continuer à battre alors qu'il s'était brisé en un million de petits morceaux, cinquante ans plus tôt. Repérant au loin un banc de bois clair, il s'y dirigea pour s'y laisser tomber avec un soupir attristé. Le banc sur lequel il était assis était celui sur lequel Alec et lui venaient autrefois, souvent à la pause du plus jeune lorsque celui-ci était encore directeur de l'Institut de New York. Ne serait-ce que pour avaler un sandwich, une salade ou un hot-dog sur le pouce, les époux venaient principalement pour profiter d'un temps calme en tête à tête, rien que tous les deux en amoureux. Ils avaient eu de bonnes parties de fous rires sur ce banc, et même des moments plus intimes et coquins, protégés par un charme de l'immortel alors qu'ils faisaient l'amour au grand air comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Après l'une de ces fameuses pauses où les deux hommes avaient dansé à l'horizontal, Alec, alors âgé de quarante deux ans, avait sorti sa stèle et gravé leurs initiales dans un cœur comme le faisaient les adolescents. La gravure était toujours là, près de quatre-vingt -dix-huit ans après. D'un sourire mélancolique, l'immortel la retraça du bout de ses doigts vernis de noirs et dû retenir un sanglot chargé d'émotion. Il lui manquait tant. Même les mauvais moments et les disputes qu'il y avait pu y avoir lui manquaient terriblement. Car oui, des disputes et des moments de doutes, les deux hommes en avaient eu. Mais à chaque fois, ils s'en étaient sortis plus fort. L'un des caps les plus difficiles à passer avait été le vieillissement du noiraud qui n'avait, pendant longtemps, pas accepté les changements dans son corps. Malgré tout, Magnus avait toujours fait en sorte de le faire sentir bien dans sa peau. Un rire soudain lui échappa d'ailleurs, alors que l'une de ses fameuses fois lui revenait en tête...

Moonlight Memories {Malec}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant