Prologue

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4 ans plus tôt

Je termine de lacer mes patins avant de m'élancer sur la surface gelé de ce lieu que j'affectionne tant. La patinoire d'Altrincham.

A mesure que j'évolue sur la glace, je ne peux m'empêcher de me remémorer mon premier souvenir ici, la première fois que j'ai foulé la glace et ma rencontre avec Lewis Warner. Mon meilleur ami ainsi que celui qui m'a accompagné sur la glace pendant près de huit ans. Je ne peux m'empêcher de me rappeler qu'aujourd'hui ce n'est plus le cas, qu'aujourd'hui je patine seule. Une larme dévale ma joue à cette pensée. Ça fait pourtant six mois. Six mois qu'il a accepté cette bourse. Et qu'il est parti vivre loin de moi, de nous tous. En Amérique, au Canada.

Notre rencontre date de plusieurs années déjà, et pourtant c'est toujours aussi exact dans ma mémoire. Moi, 6 ans, qui m'aventure pour la première fois à enfiler des patins, un soir de noël. Moi et ma stupide indiscrétion qui me retrouve à le bombarder de questions, et lui, patient, calme, qui m'écoute et me répond en m'aidant doucement à progresser sur la glace.

*****

le 24 décembre 2010

C'est immense. Papa dit que c'est pour ça qu'il y a beaucoup de bruit. Parce que ça résonne, comme il dit. Il y a plein de sapins et de lumières que décorent la patinoire. C'est beau. j'aime bien quand c'est décoré comme ça, ça veut dire que c'est noël. On entend aussi de la musique, celle qu'on entend partout quand c'est noël. Il y a tellement de bruit qu'on l'entend presque pas mais c'est pas grave, ça me plaît quand même. Papa est accroupi devant moi, il termine de lacer ces drôles de chaussures que je dois porter pour aller de l'autre côté de la barrière, sur la glace. On appelle ça des patins je crois.

- Et voilà ma grande ! s'exclame t-il en me soulevant de mon siège, Tu es toute prête.

Il s'assure que je ne tombe pas et me guide sur le chemin jusqu'à la glace. Je pose un pied puis l'autre sur la surface blanche qui s'étend loin devant moi, mes mains fermement accroché sur la barrière à ma droite et à ma gauche. Je ne comprend pas vraiment comment je suis censé avancer. Je tourne la tête vers mon papa qui m'observe attentivement quelques mètres plus loin. Il attend de savoir si j'ai besoin qu'il m'aide, ou pas. Je me reconcentre sur mes pieds qui glisse légèrement malgré moi. Je veux essayer tout seule, je veux me débrouiller comme une grande. je lâche ma prise et écarte les bras de chaque côté de moi comme ces hommes, au cirque, perché en haut d'une corde. je soulève lentement mon pied droit du sol et le repose un peu plus loin devant moi. Je fais pareil avec mon pied gauche, puis de nouveau avec mon pied droit. Je continue comme ça sur quelques mètres avant de perdre le contrôle, et de me retrouver sur les fesses, au milieu de plein de gens qui glissent à toute vitesse en m'évitant. Pas un pour avoir la fantastique idée de m'aider. J'essaie de pousser sur mes mains, de me mettre à quatre pattes, mais c'est peine perdue. Au moment où j'allais retraverser la patinoire en sens inverse à quatre pattes, je vois une paire de ces chaussures appelées patins freiner juste devant moi. Une main se tend alors, comme pour m'aider à me relever. Je lève alors la tête vers la personne qui a eu la gentillesse de s'arrêter pour moi. Je tombe nez à nez avec un garçon aux deux yeux bruns qui m'observe intensément.

- Tu t'appelles comment ? demandé-je en attrapant sa main pour me remettre sur mes pieds.

- Lewis. Warner. Et toi ?

- T'as quel âge ?

- 6 ans. Et toi ?

- T'habites ici ?

- Oui. Toi aussi ?

Je ne m'en était pas rendu compte mais Lewis a attrapé mon autre main et nous glissons maintenant doucement sur la glace. C'est plutôt agréable.

- Tu vois ? C'est comme ça qu'on fait. Sur la glace, il ne faut pas marcher, il faut que tu te laisses glisser. Et que tu t'amuses.

-Mmh. Tu patines depuis longtemps ?

Je garde la tête baissée, les yeux rivés sur la surface gelée qui défile lentement sous nos pieds, fascinée.

- Depuis un an. Toi, c'est ta première fois...

- Oui. C'est quoi ta couleur préférée ?

- Le vert. Et toi ?

- J'en ai pas.

je relève la tête vers lui. Il est sympa.

- Je t'aime bien. T'es sympa.

Il penche la tête sur le côté et je peux voir l'étonnement dans ses yeux.

- Merci. T'as l'air sympa toi aussi, mais...

Il est coupé dans sa phrase par une voix que je connais, et qui crie mon prénom.

- Cléo !

Je tourne la tête vers l'entrée de la glace, mon frère a mis ses mains en porte-voix et m'appelle. Je lui tire la langue et me retourne vers Lewis, qui me regarde avec un grand sourire.

- Tu t'appelles Cléo.

- Non.

- Si.

Je fronce mes sourcils comme mon papa quand il me dispute, et lui tire la langue à lui aussi. Son sourire s'agrandit encore un peu plus, et je n'ai pas le temps de lui demander ce qu'il a que je sens des bras entourer ma taille et me soulever du sol, je lâche les mains de Lewis et me débat comme je peux.

- Aaron ! Je te déteste ! Lâââche- mooi !

- A bientôt, Cléo.

Il se retourne, et repart patiner à son rythme, me laissant dans les bras de mon frère, qui, malgré ma lutte réussit à me ramener jusqu'aux gradins.

*****

J'ai plusieurs fois réfléchi à cette question par la suite. Quelle est ma couleur favorite ? Je ne sais absolument pas. Lewis n'a pas lâché l'affaire si vite, avant son départ, il est allé jusqu'à m'emmener dans un magasin de bricolage pour me montrer une centaine de papier avec des d'échantillon de couleur de peinture pour que je choisisse ma préférée. Je ne me suis jamais plaint. Ça m'amusais de le voir ainsi se démener pour un sujet pas si important, au fond. Nous avions passé bien cinq heures dans ce magasin, à éparpiller plein de ces papiers dans le rayon, à éclater de rire toutes les deux minutes pour n'importe quelles raisons, à faire les fous et à exaspérer les vendeurs qui avaient finit par nous chasser. Comme je n'avais pas réussi à me décider, ( les couleurs étaient soit franchement moche soit aussi belles les unes que les autres ), Lewis avait alors embarqué un exemplaire de chaque échantillon qu'il avait ensuite tous accroché sur mon mur pour que je puisse " les admirer tous les jours et faire mon choix ".

Quand il est parti aux États-Unis, je ne pensais pas que ça ferait parti des choses qui me manquerait. Et pourtant, sa question qu'il me posait chaque matin me manque. A tel point que j'en suis venu à me poser devant mon mur et me demander " laquelle je préfère ? ".

Je freine brutalement et fais un demi-tour sec, et je me sens soudainement très seule dans cette patinoire vide de monde un samedi matin de novembre. Et c'est plus fort que moi, j'éclate en sanglot. Il me manque tellement. Nos moments ensemble me manque, nos fous-rire me manque, nos soirées film-pop corne ma manque, nos sorties me manque, et par dessus tout, nos séances de patinage tous les deux me manque. Je n'ai pas ma place dans cette patinoire sans lui. Et encore moins avec un autre partenaire. C'est pourquoi j'ai refusé de continuer la compétition en duo et ai choisi de me réorienter vers le patinage en solo depuis le début de l'année. Mais ce choix ne m'apaise pas. Plus les mois passent et plus c'est avec le cœur lourd que je me rend ici. Et plus on s'appelle plus j'aimerai qu'il soit ici avec moi. Ça me déchire parce que ça me rend aussi infiniment heureuse pour lui qu'il ai pu intégrer l'école de ses rêves.

Je rejoins la sortie de la glace en glissant doucement sur la surface gelée, les joues striées de larmes, en espérant sincèrement que la machine à remonter le temps existe.

Can You Love Me ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant