Dirty Minded

Prologue

Plus j'attends, plus je gigote sur ce fauteuil censé être confortable, mais dont le cuir vert colle à mes fesses avec une insistance quasi obscène. Sérieusement, après des heures de squats et de fentes, la seule chose que je peux ramener chez moi, c'est un meuble que je ne connais ni d'Adam ni d'Ève. Je frotte mes mains moites contre la jupe bleu lavande de mon tailleur, acheté pour l'occasion. Classe, non ? Enfin, classe jusqu'à ce que mon stresse forme des oréoles sous les aisselles. Le glamour dans toute sa splendeur.

- Tu veux bien te détendre, s'il te plaît ?

Janis, la rousse aux mille visages, me sermonne avec une grimace maternelle. Manager, confidente, amie et accessoirement babysitter pour les stressées de la vie dans mon genre. Sérieusement, si elle avait un diplôme en babysitting de trentenaires, je parie qu’elle aurait mention.

- C'est long, pourquoi est-ce que ça prend autant de temps ?

- Plus c'est long, plus c'est bon.

Je réprime un sourire et m'étale avec nonchalance en jouant avec mes longs cheveux bruns fraîchement lissés.

- Cass, si tout se passe comme prévu, tu vas devoir apprendre à être patiente.

- Si tout se passe bien, je vais surtout m'offrir une bouteille de champagne.

Mon sac vibre, je reconnais immédiatement la sonnerie de mon téléphone.

- N'y penses même pas, crache Janis d'un ton sec.

- C'est Peter...

- Oh, je sais très bien qui c'est, et il peut attendre !

- Il y a peut-être un problème ?

- À chaque fois "il y a peut-être un problème", peste Janis en mimant des guillemets pour appuyer ses mots. Il sait pertinemment que tu es en rendez-vous.

- Pour l'instant, je suis en attente de rendez-vous, je marmonne frustrée.

- Écoute, il trouvera toujours quelque chose... Là, tu es Elliot Reed, alors laisse, ma belle Cassie Elliot souffler un peu, d'accord ? Concentre-toi sur ta carrière d'auteure. Peter t'a déjà pris beaucoup, c'est ton opportunité, ne le laisse pas te l'enlever aussi.

Les yeux bleus de Janis me fixent avec compassion et détermination tandis que des souvenirs frappent ma mémoire :

- Cassie ! T'en as encore pour longtemps ?

- Je, j'ai presque fini...

J'étouffe mes sanglots que l'eau chaude de la douche peine à couvrir, tant la douleur me déchire le cœur. Je tente de reprendre mon souffle, mais les larmes qui brûlent mes yeux ne cessent de se mêler à la vapeur qui m'entoure. Je me colle contre le carrelage froid de la paroi avec la triste aspiration de stopper les secousses qui envahissent mon corps. C'est impossible, Peter, pitié, dis-moi que ce n'est pas possible ?

Mon esprit torturé cherche en vain l'espoir que ma découverte ne soit qu'un mensonge, un simple malentendu, une mauvaise blague. Comme un zombie, je ferme le robinet. Je n'en ai ni la force ni le courage, pourtant, je sors de la douche. J'essuie la buée sur le miroir puis fixe la tête abattu qui me dévisage. Je reconnais à peine les yeux marron rougis et bouffis de mon pitoyable reflet. Sentant la souffrance étrangler ma gorge, j'inspire profondément pour retrouver le peu de contenance qu'il me reste. J'enfile mon peignoir rose et quitte la salle de bain avec l'horrible sensation de laisser derrière moi une partie de ma vie.

- Qu'est-ce qu'il y a, chérie ?

Je détaille Peter comme un parfait inconnu, ce qui m'est encore plus douloureux.

- Devine ? je lui demande sans cacher mon amertume.

Il lève les yeux au ciel comme si je l'ennuyais et soupire :

- Quoi, qu'est-ce que j'ai encore fait ? C'est parce que tu ne peux pas aller au salon des Éditions le week-end prochain ? Et bien désolé. Mais moi, j'ai un boulot, et il ne consiste pas à rester assis devant un ordinateur à pianoter sur un clavier...

Ses mots tranchent aussi bien l'air qu'ils ne me poignardent le cœur et pourtant, ils ne me sont pas inconnus. Je reçois en pleine face nos dernières disputes et vois clairement le fossé creusé par son indifférence. Je souris malgré moi et fonce attraper son portable :

- Ton boulot ?! Je croyais que c'était plutôt Vera ?

Il m'arrache le téléphone des mains, se met à crier les joues rouges.

- Alors, comme ça tu me fliques ?!

- C'est tellement facile ! Je. Suis. La méchante qui découvre ton infidélité.

- Arrête ! Tu dis n'importe quoi !

Mon téléphone résonne encore une fois, me ramenant dans la salle d'attente, je grogne :

- De mieux en mieux, dis-je en montrant le nom affiché sur l'écran.

- Verrue ? se moque Janis dépitée. Ça suffit, donne-moi ça.

Elle récupère mon portable, l'éteint avant de l'enfoncer dans sa poche.

- Madame Reed, monsieur Ty va vous recevoir.

Je me lève d'un bon, trop heureuse d'abandonner mon amant en cuir et inspire profondément pour calmer les pulsations de mon cœur. On avance vers la porte entrouverte du bureau.

Lorsque j'entre, une voix masculine m'interpelle :

- Elliot Reed ! J'ai enfin la chance de vous rencontrer.

Je sursaute et aperçois un homme presque orange se précipiter vers moi les bras tendus. Je suis éblouie par les reflets de son crâne chauve, suintant l'auto bronzant.

- Monsieur Ty, ravie de vous rencontrer.

- Tout le plaisir est pour moi, je vous présente mes excuses pour le retard. Les aléas du boulot de directeur de studio. Installez-vous.

Je prends place au côté de Janis, la tension qui règne dans mon corps monte d'un cran quand l'homme sort un immense contrat et le pose devant nos yeux.

- Je suis soulagé que vous ayez accepté l'exclusivité. Nous allons faire de ce roman un blockbuster !

Je hoche la tête, incapable de contenir le sourire béat qui se dessine sur mes lèvres.

- Nous avons accepté l'exclusivité, c'est vrai, mais il y avait une condition non négligeable, coupe Janis d'un ton ferme.

Ah bon ? Je la fixe avec l'incompréhension d'une vierge devant un test de grossesse positif. Elle me fait signe de la laisser faire.

Monsieur Ty s'enfonce dans son large fauteuil en daim et place ses index sur sa bouche.

- Oui, effectivement, il y a cette condition...

Mais bordel, quelle condition ?!

- Accordé, reprend le maître des UV. Elliot Reed sera bien consultante sur le tournage du film "Entre nous".