Prologue : Comme un coeur qui bat

107 12 71
                                    


Il rêvait. Car après tout il ne pouvait s'agir là que d'un rêve, pas vrai ? Il n'était pas réellement à l'hôpital. Magnus n'était pas réellement malade. L'Indonesien n'était pas réellement sur le point de mourir, et le noiraud n'était pas réellement en train de lui faire ses adieux. N'est ce pas ? Et pourtant...Ici, tout était blanc et lisse, vierge de toute couleur. Ici, tout était froid et sans âme. Le bip incessant des machines et du moniteur cardiaque, le silence presque assourdissant, le recueillement des familles et la solennité de certains médecins qui traversaient les couloirs vides comme des fantômes. Tout cela rappelait à Alec les trop nombreuses fois où il avait attendu, des heures durant, de recevoir un signe d'un éventuel rétablissement de son époux. Dans sa mémoire lui revenaient douloureusement chaque moment passé à se ronger les sangs pour son époux. Deux comas, deux agressions, une amnésie, un cancer, une mort. Magnus avait accumulé, depuis les quinze dernières années, plus de séjour en soins que n'importe qui d'autre dans leur grande famille, et une fois encore il se trouvait au service de soins intensifs de l'hôpital dans lequel travaillait sa meilleure amie. Et le verdict était sans appel : cancer. La rechute avait été soudaine, brutale. Elle avait frappé sans prévenir, sans leur laisser la moindre chance de combattre. Les métastases s'étaient déjà installées sur son foie et ses reins et commençaient à attaquer l'estomac. Ils n'avaient rien vu venir, trop occupé à aller sauver le monde, comme d'habitude. Alec aurait pu dire qu'il regrettait, qu'ils auraient dû commencer un traitement immédiatement après les premiers signes, mais c'aurait été un manque de respect profond à la décision qu'avait prise Magnus. L'Indonésien ne souhaitait pas de chimio ni de radiothérapie, pas plus qu'il ne voulait savoir combien de temps il lui restait à vivre. Il voulait vivre ses derniers mois, peut-être ses dernières semaines même, avec le moins de souffrances possibles. Il ne voulait pas quitter ce monde comme un cadavre à peine capable de tenir debout, pratiquement déjà mort, mais bien comme ce qu'il avait toujours été : un magnifique et talentueux sorcier de huit cent ans, fan de mode et de paillettes, de maquillage et de fêtes, et qui n'a pas sa langue dans sa poche mais bien le coeur sur la main. Et le noiraud, bien que brisé, déchiré, détruit par la nouvelle de cet avenir sans l'homme qu'il aimait plus que tout au monde, avait accepté humblement cette décision qui ne revenait, au final, qu'à Magnus lui-même.

Malheureusement pour lui, si l'asiatique n'avait pas voulu souhaiter connaître le temps qui lui restait à vivre, Alec lui l'avait su tout de suite. Quelques semaines, deux mois tout au plus, sans traitement. Et le cancer se propageait de jour en jour à une vitesse vertigineuse qui lui donnait le tournis. Chaque jour, de nouvelles métastases. Chaque jour, de nouvelles douleurs, de nouveaux soucis. Ils étaient plus proches de la fin que du commencement et le sorcier n'en avait plus pour longtemps avant de devoir rendre son dernier souffle. Dans la chambre de ce dernier, Alec observait la pièce avec effrois et dégoût, autant qu'avec peur et colère. Cette chambre impersonnelle et sinistre, lugubre et glaciale. Cette chambre comme déjà morte, qui serait très bientôt le tombeau de son époux. Cet époux même qui allait le laisser seul dans une vie qui n'aurait bientôt plus de sens. Son homme, merveilleux, qui ne deviendrait plus qu'un souvenir amer au goût fané. Le noiraud ne voulait pas renoncer, pas comme ça, pas maintenant, mais il n'avait pas le choix que de dire adieux, comme tant d'autres avant lui. L'ironie même de la situation résidait dans le fait que pendant longtemps, aux prémices de leur relation, les deux hommes s'étaient disputés à plusieurs reprises sur le fait qu'Alec ne serait pas immortel et que Magnus devrait un jour lui dire adieu. Qui aurait pu un jour croire que l'inverse se produirait ? Assis sur sa chaise en plastique gris inconfortable, le Chasseur d'Ombre réalisait que ce jour était arrivé. Magnus était là, corps minuscule dans cet océan de draps blanc, recroquevillé sur le côté, la respiration faible et le visage pâle. Ses magnifiques épis étaient plaqués à son front, lisses, et une canule d'oxygène traversait son nez pour l'aider à tenir le coup. L'ancien Frère Silencieux posa sa main sur celle de son compagnon et entrelaça leurs doigts en silence, ses orbes cobalts plongés dans les siennes. Magnus sourit faiblement, tristement, ses yeux dorés brillant malgré tout d'une dernière étincelle de malice qui disparaîtrait bientôt. Ils savaient tous deux que la fin était proche, et même s'ils avaient voulu repousser l'inévitable, il était temps. Alec sentit une boule de chagrin lui obstruer la gorge et l'empêcher de parler. L'Indonésien, qui ne s'en sentait pas non plus la capacité, posa une main tremblante sur la rune de mariage du noiraud sans jamais cesser de le regarder. Le Nephilim comprit avec douleur que l'immortel allait partir, mais qu'il refusait de fermer les yeux. La dernière chose qu'il voulait voir en quittant ce monde était l'amour de sa vie. Magnus allait partir sans jamais renoncer, le visage de son âme sœur ancré profondément dans ses rétines.

The Three of Love {Malec Tome 12}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant