La porte s'ouvre à nouveau et projette une faible lumière dans ce tout petit univers. Une lueur d'or coule sur la planche de bois percé de petits trous réguliers. La flamme de cette petite bougie vacille, fragile et tremblante. Une ombre s'engouffre là, trainant derrière elle les replis de sa traine noire, les plumes pendantes d'un vieux chapeau de maître. Le prêtre était à la lecture. Il ferme sa bible et fait glisser un grain de son chapelet entre ses doigts épais. Là, une voix étrange et basse se fait entendre depuis l'obscurité.
" Bénissez-moi, mon Père. J'ai commis de grands péchés.
- Soyez béni, mon fils. Le Seigneur, dans toute Sa miséricorde, vous écoute. "
Le monde de ces quatre planches de bois se recouvrit alors d'un silence massif. Les souffles discrets faisaient l'effet d'une mystérieuse brise lointaine.
" Je crois que cela fait bien longtemps qu'il ne m'avait pas écouté.
- Il est malheureux de négliger Sa présence, et c'est par la prière qu'il Lui faut adresser nos doléances et notre adoration. Sans cela, nous ne faisons que nous éloigner de Lui...
- Une prière, je le crains, ne suffirait à comprendre tous mes péchés.
Le prêtre, ancien, tenait en sa foi une fraternité qui s'épurait de toute rigidité trop bigote. Aussi, il sourit doucement à l'ombre du regard de l'inconnu, dont la plume fléchissait au bas.
" Allez-vous souvent à l'église, enfant ?
- Dans mes vieux jours... Oui... Mais je l'ai un peu négligée au clair de ma vie.
- C'est là un affront bien impudent à notre Seigneur, qui dans notre jeunesse, est comme un père qu'il est de notre devoir de visiter autant que nous le pouvons, car nous lui devons la vie. Mais c'est hélas une tâche que l'on omet bien souvent au bel âge, car tant de tentations se miroitent devant nous. Il sait cela, et Il sait pardonner. Et la confesse ? Avez-vous souvent été à la confesse ?
- Non, murmure l'inconnu plein de honte, non je...
- Quand avez-vous été entendu pour la dernière fois, mon fils ?
- Oh mais... Quand je portais le cierge, mon père... Il y a trente ans, quand j'étais encore français. "
Derrière la grille, le vieux prêtre jette un regard à l'ombre immobile, observateur. Des rides dures barrent son front blanc. Voilà qui était inhabituel. Il y avait bien des fidèles ici, bien sûr, mais ils étaient tous espagnols. Et il les connaissaient bien, ces gens, il connaissait leurs vices, leur nature, leur sorte. Et il aurait parié (si ce n'était point pécher) que cet homme-ci était aussi espagnol que le reste d'eux.
" Vous êtes donc français ?
- Je le suis autant que vous êtes espagnol, mon Père. Et pourtant vous voyez comme je n'en ai point l'allure, c'est à s'y méprendre... Oui, mais cette terre n'est pas la mienne. Pour tout dire, et puisque nous sommes ici, c'est plutôt la terre de mon malheur.
- Parlez, étranger, puisque le Seigneur nous entend. "
L'homme, au travers de la grille, poussa un doux et profond soupir. Un soupir qui s'estompa dans l'air comme une envolée de poussière soulevée par le vent, pleine de légèreté, soulagée de quitter la terre.
" A vrai dire mon père, je ne puis vous confesser mes fautes ; il y en a trop. Il me faudrait pouvoir vous conter jusque leurs racines, pour qu'enfin vous les puissiez regarder dans la plus grande vérité, la plus totale et la plus délibérée. Je crois qu'il me faut commencer là où tout débuta. Je vous disais donc que j'étais français et c'est déjà chose bien ancienne. Je suis d'un village du sud proche des Espagnes, tant qu'il arrivait que certains de nos mots partageaient leurs étymologies. J'ai grandi sur une terre de soleil et de nature, une terre dont le souvenir me fait confondre avec le plus bon endroit du monde... Mais ainsi sont toutes les terres d'enfance, n'est-ce pas ? Je n'étais pas un hidalgo, ni même un gentilhomme français, c'est chose difficile à croire, même pour moi. J'étais un paysan. Mon père en était un aussi. Et après moi, ma progéniture se destinait également à ce destin, du moins je l'ai longtemps cru. Français, je l'ai été du début de la vie jusqu'à l'âge de jeune homme. Vous pensez que mes péchés se résument à ce que l'on fait de plus méchant à cet âge si radieux ? Et bien à la vérité, il n'a brillé que par la vivacité de mon sang, et la force de mon corps. Du reste, je restais bon et chaste très longtemps, puisant aux bonheurs de la vie une part innocente et enfantine, n'ayant jamais connu de haine trop forte envers quiconque. Je travaillais ardemment, je craignais Dieu, je servais mon père, mes amis... Et je croyais que toute ma vie serait ainsi faite. Mais c'est de cette enfance dont je m'accuse premièrement, mon Père, car c'est elle qui me conduisit à un grand méfait qu'il m'est aujourd'hui encore lourd à porter. "
VOUS LISEZ
Récits d'Espagnes
Historical FictionDans une église madrilène en 1683, un vieillard cherche à se confesser. Un prêtre l'écoute, et il livre alors le récit d'une vie dont les fautes lui sont maintenant trop lourdes à porter. Il lui faut être pardonné de tout, de l'amour, de la haine, d...