" C'était le dix-huit mai. Je m'en rappelle. Je l'ai su car je suis passé à coté de la fenêtre ouverte d'une auberge où les commandants, ainsi que les défenseurs de la ville s'étaient réunis pour établir leurs plans. Un écrivain les assistait et un de ces messieurs lui dictait les avancées. Il avait déclaré que nous étions le dix-huit mai. Je l'ai su ainsi. Ce jour-ci fut le premier des combats que nous menèrent, notre première rencontre avec l'ennemi, qui jusqu'alors ne s'était manifesté que par les traces de son passage dévastateur. Vous savez, faire la guerre c'est d'abord attendre, rester là, debout, flanqué d'une épée lourde et d'une armure dans laquelle vous disparaissez. Vous ne connaissez pas cela, mon Père ? Ce que c'est que de n'être plus rien, n'avoir en vous plus aucune volonté, ni aucun courage, ou du moins cette volonté étrange et innée qui fait agir. J'étais rongé par la peur, entre mon père et mon ami, tous les trois ensemble, devant un champs vierge où s'étalait la troupe ennemie. Turenne prit la parole mais nous n'entendîmes rien sous nos heaumes. Je craignais, je craignais tant. Je ne voulais plus être un héros, mais je ne voulais point être un fuyard non plus. Je voyais le flottement gracile d'un drapeau chez les espagnols. Et puis le discours étant achevé, et la terre bénie, nous fumes projetés dans un attroupement d'une violence absolument inouïe. Tout à coup cela cria si fort que j'en fut étourdi. Partout cela courrait, chevaux et hommes, heurtés, soulevés en un mouvement de panique rageuse. Je me souviens être resté où j'étais, bousculé de toute part, ne sachant que faire ni où aller. Le son dur d'un clairon s'élevait vers le ciel, je l'entendrais toujours. Je regardais à ma droite ; deux hommes en tenaient un troisième et le frappait. Je regardais à ma gauche ; un cheval se cabrait sur un soldat qui battait de l'épée. Déjà, tous autour de moi étaient espagnols. J'avais été projeté dans la clairière d'en face. Un homme s'approcha de moi avec une si violente fureur que je m'en protégeai d'abord. C'était Jacques qui accrochait mes épaules et qui hurlait au travers de l'agitation.
- Suis-moi nom de Dieu !!!
Il m'accrocha le bras et me tira au travers d'un cheminement délirant de coups, de cris et de hennissements fous. Où est mon père, je lui criais. Mais il n'était pas en mesure de me répondre tant il repoussait la foule et se protégeait des épées. Un soldat tout couvert de cuivre fendit nos deux corps si brutalement à cet instant que je regardai si mon bras était encore accroché à mon épaule. Il leva son épée en l'air pour nous transpercer la tête et je sortis la mienne de mon fourreau pour en hâte la choquer tout contre elle. Je donnai des coups acharnés et aveugles, en avant, en arrière, partout où cela me touchait et me coupait. Je voyais mes phalanges déjà sanglantes mais je ne sentais pas la douleur tant j'étais happé par toute cette agitation. Je jetais des regards autour de moi mais hélas Jacques n'étais déjà plus là, et alors je me sentais envahi de sueurs froides, ayant perdu mon père, puis mon ami, étant seul au milieu de tous ces soldats qui me voulaient tuer. On m'accrocha alors par l'épaule et je me tournais avec violence, voyant l'étincelle du jour sur une lame levée au dessus de ma tête. Je crois que je poussai alors des cris derrière la visière de mon heaume qui m'étouffais, mais je me reculai, et je frappai à mon tour sur les armures, sur les têtes, dans les jambes. Comme le soldat revenait pourtant vers moi, j'élançai alors mon poing et heurta si fortement son heaume qui s'écroula sur la terre remuée, ayant sonné comme la cloche d'une église. Je voulais rejoindre mon père et Jacques, mais c'était chose impossible de toute évidence, il y avait trop de soldats, et ils étaient tous les mêmes, avec leurs silhouettes de cuivre. Voilà. Voilà ce que c'était que la guerre. Bien sûr, bien des soldats s'allaient confesser auprès de nos religieux une fois le combat terminé à la fin du jour. Jacques trouvait cela bien inutile, car il disait qu'aussitôt confessé, aussitôt nous repartions fauter. Il faut dire qu'il ne tenait pas cet avis au seul sujet de la guerre. Quant à mon père... Il s'épuisait au combat plus que les autres et il le devait cacher, pensant certainement que c'eut été trop éprouvant pour nous que de le voir à la souffrance. "
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Récits d'Espagnes
Historical FictionDans une église madrilène en 1683, un vieillard cherche à se confesser. Un prêtre l'écoute, et il livre alors le récit d'une vie dont les fautes lui sont maintenant trop lourdes à porter. Il lui faut être pardonné de tout, de l'amour, de la haine, d...