Un gigantesque bâtiment brillait de mille feux au milieu du ciel nocturne de Paris, encore endormie . Le bâti était presque entièrement constitué de vitres, qui laissaient filtrer la lumière aveuglante des innombrables spots lumineux qui illuminaient les larges allées de sol lisse à l'intérieur de celui-ci. Au-dessus du bâtiment, d'énormes lettres lumineuses formaient l'inscription " Orly Sud". La Mercedes grise se gara, Keny Waiste se tut et Jaina et son père entrèrent à l'intérieur de l'aéroport. En dépit de l'heure matinale, une foule dense grouillait dans les grandes allées dont la lumière éblouissante agressait les yeux de ceux qui venaient de la nuit. Des processions de valises et de sacs de voyage circulaient tant bien que mal entre des familles épuisées par les caprices de leurs enfants, des hommes d'affaire pressés qui pestaient contre les retards de décollage et de couples endormis à même le sol sur l'épaule de leur partenaire. Perdus au milieu de ce mélange hétéroclite, Jaina et son père avançaient maladroitement, à petits pas. Ils finirent par arriver au bout d'une interminable file d'attente pour le portique de sécurité.
Plus l'attente s'éternisait, plus Jaina sentait son ventre se tordre sous l'appréhension. Si ses inquiétudes du réveil s'étaient tapies dans un coin de son esprit le temps d'un trajet en voiture rythmé par Keny Waiste, elles refaisaient à présent surface avec de plus en plus de force à mesure qu'elle apercevait des avions atterrir et décoller. Régulièrement, un "bip" strident la sortait de ses songes et elle faisait un pas en avant, puis se laissait de nouveau envahir par le stress.
Un nouveau pas vers l'avant et Jaina remarqua qu'elle se tenait devant le portique de sécurité. Deux douaniers à l'air austère la fixaient comme s'ils la suspectaient de vouloir poser une bombe dans l'aéroport. Vous savez, ces mêmes douaniers qui vous regardaient si sévèrement que vous baissiez immédiatement le regard en cherchant à se faire le plus discret possible? Et bien, c'est le pouvoir qu'ils exerçaient sur Jaina . Elle tenta de paraître la plus innocente possible tout en déposant son sac et sa valise sur le tapis roulant; elle leur adressa même un rapide bonjour et un timide sourire. Dans son dos, son père haussa un sourcil, amusé. Oui, elle avait l'air plus suspecte qu'autre chose. La jeune femme eut l'espoir de voir s'afficher sur leurs lèvres une réponse à cette amabilité, mais déchanta très vite en constatant qu'ils restaient de marbre. Un peu vexée, elle franchit les portes métalliques en priant pour ne rien avoir oublié dans ses poches; quand elle était fatiguée- c'est-à-dire constamment- sa mémoire lui faisait défaut. Deux pas. Silence. On lui rendit ses affaires, c'est bon, ce n'était pas une criminelle. Mais toujours pas l'ombre d'un sourire pour la féliciter.
" Tu sais que t'avais l'air plus coupable qu'autre chose en essayant de paraître innocente, soupira Arman en se massant la nuque.
- Mais je n'essayais pas, je suis innocente, protesta sa fille en le dardant d'un regard faussement outré.
- T'en avais vraiment pas l'air, continua-t-il, un sourire espiègle aux lèvres.
- Fais attention, je pourrais t'agresser avec le couteau qu'ils n'ont pas détecté, menaça-t-elle en brandissant son poing fermé.
- Qui gardera tes affaires pendant que tu iras pour la trentième fois aux toilettes, alors, la défia-t-il.
- Ah, c'est vrai que t'es pratique, en fait.
- Bien. "
Affalés comme deux robots inanimés, père et fille tuaient le temps comme ils le pouvaient. Jaina se rendait aux toilettes toutes les dix minutes pendant qu'Arman tentait infructueusement de se reposer, sa tête ne trouvant pas sa place sur le dossier de ces chaises inconfortables en métal noir qui caractérisaient la zone d'embarquement. Sa fille possédait vraiment une vessie de souris. Une petite buvette était ouverte et il devait en être à son cinquième café. Au vu des traits tirés du tenancier, ce dernier devait en avoir certainement tout autant besoin que les gens aux cernes violacées par le décalage horaire qu'il servait. Arman consulta sa montre pour la cinquième fois."Plus que vingt minutes ", soupira-t-il.
Au moment où il allait s'endormir, Arman entendit le grésillement robotique des hauts-parleurs :
" Mesdames et messieurs, nous vous informons que les passagers du vol 258, à destination d'Ottawa , doivent se présenter immédiatement à la porte d'embarquement 15. Nous vous souhaitons un agréable voyage à bord de notre compagnie aérienne et nous vous remercions d'avoir choisi notre service pour votre voyage. Merci de votre attention."
Péniblement, Arman ouvrit les yeux et son regard croisa immédiatement celui de Jaina. Elle se tenait debout, immobile devant lui et le fixait comme dans l'attente d'une réponse à une question dont elle-même n'était pas sûre de la formulation. Mais son regard était bien assez éloquent. Ses grands yeux couleur océan étaient remplis de peur et d'incertitudes, comme tant de particules toxiques qui venaient polluer cette étendue immaculée. Lentement, Arman se leva et resta un moment pantois, paraissant ne pas savoir quoi faire de ses bras raides. Puis, semblant avoir recouvré l'esprit, l'attira un peu brutalement dans une étreinte . En cette brutalité résidait toutes ses inquiétudes, toute son impuissance mais également tous ses espoirs. Il gardait foi en une possible guérison, quelque qu'en soit la méthode. Et si malgré tout, la maladie résistait, alors son amour tenterait une nouvelle fois de la substituer. Ce fut la promesse qu'il se fit lorsqu'ils se détachèrent et que leurs regards s'accrochèrent à nouveau. Arman contempla une dernière fois les traits de sa fille, cherchant à les imprimer dans sa mémoire. Cette dernière tenta un maigre sourire, sans savoir qui celui-ci était censé rassurer . Ses paupières se plissaient quand elle souriait et une goutte de l'océan déborda, roulant sur sa joue et terminant sa course sur le sol dur de l'aéroport, en guise d'adieu à son pays natal. La jeune femme empoigna ses valises et tourna bientôt le dos à son père. Elle marcha quelques mètres dans le brouhaha environnant, ses longs cheveux brillants suivant gracieusement ses mouvements, avant de faire volte-face et, sous la lumière dorée des spots du hall d'embarquement, d'adresser un sourire irradiant d'espoirs à son père, puis reprit sa lente marche tandis que leurs deux coeurs se désagrégeaient à l'unisson à chaque pas supplémentaire.
Un nouveau chapiiitre !
Désolée du retard, j'ai pas mal galéré cette fois
J'espère que ça vous plaît !
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La marche de l'ombre
General FictionMalgré un long suivi médical et un entourage qui la soutient, Jaina n'est jamais parvenue à guérir de son anorexie, dans laquelle elle a plongé six ans auparavant. Etouffée par ses proches et limitée par sa maladie qui la ronge lentement, elle décid...