25 - Acmé

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Sofía , 23 ans


"Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C'est Vénus toute entière à sa proie attachée."


J'ai passé la nuit à tenter de me débarrasser de la désagréable sensation qui sévit au fond de ma gorge sèche. A la jonction avec mon conduit nasal me nargue une pression que je n'arrive pas à déloger non plus. Force est de constater que le peu de salive qu'EZ et moi avons partagé, en plus de cette proximité que la bienséance condamne entre un homme et une femme, bien que dans notre cas elle est autorisée, m'a rendue malade. Au réveil, mes yeux me brûlent, ma tête cogne, mon corps frissonne et ne réclame qu'une seule chose, retourner s'emmitoufler sous la couverture. C'est le comble de tomber malade en plein été. Je pense que l'air conditionné et le choc des températures ont eu raison d'EZ.

Depuis le couloir, je n'ai aperçu que son dos en allant prendre un petit-déjeuner tardif et de quoi me permettre de ne pas m'endormir avant la fin de journée. Par chance, hier c'est mon frère qui s'est occupé de cuisiner. Cela m'a ainsi permis de m'avancer sur le repas de ce soir. La pâte à pizza repose sagement au frais et je n'ai plus qu'à découper les légumes pour ceux qui en veulent et enfourner le tout. J'ai été organisée, connais les habitudes alimentaires de chacun et je sais déjà ce que notre invité désire manger. Invité que j'ai été surprise de croiser hier après-midi. Moi qui avais encore l'image d'un pré-adolescent maladroit, j'ai été ravie de le voir. Il était aussi plaisant de constater à quel point il est bien élevé. C'est rassurant de savoir Miguel être ami avec les bonnes personnes. Dieu sait à quel point les fréquentations peuvent être handicapantes. En témoignent la mort précoce de ma mère, le séjour en prison de mon père et ma vie amoureuse catastrophique.

En bref, je suis mal en point. Heureusement que c'est D. D. qui se charge du dîner d'abuela. Je ne pense pas que j'aurais été capable de tout prendre en charge, d'autant plus que ma voiture est encore endommagée et la portière côté conducteur enfoncée. Encore un problème qui nécessite que je m'en occupe. Ce n'est pas comme si mon emploi du temps ne me le permettait pas.
A midi, je suis toujours devant mon mug. Mon petit frère est avachi devant la télévision et je me demande encore comment est-ce que je vais pouvoir affronter l'après-midi. Ce lundi est une de ces journées d'été qui semblent illusoires. L'épaisse couverture anthracite des cieux ne présage rien de bon, je m'attends à ce qu'ils grondent d'ici la fin de journée, le soleil peine à nous saluer et tout porte à croire que la nuit approche. L'air est lourd, presque moite.

Je n'espionne que peu les garçons, d'une part parce que je réfléchis à la manière d'interpeller EZ pour lui demander de dîner avec nous, d'autre part parce que j'ai encore la sensation de ses lèvres – sa langue – contre ma bouche. Il me rendait malade, au sens propre, il y a quelques années, mais c'est différent cette fois. Je ne sais pas dompter l'homme comme je le faisais avec l'adolescent. Et ce n'est pas ce que je souhaite, puisqu'en grandissant (et en suivant une thérapie, dans mon cas), on se rend compte de tout un tas de choses et notamment de l'impact des traumatismes, qui rendait notre relation trop imparfaite pour être saine. Tout a toujours été démesuré, profond et intense entre nous. Malheureusement, nous n'avions pas tous les outils nécessaires pour rendre notre relation stable. Parce que pérenne, cette relation l'aurait été malgré les embûches. Nous nous serions bouffés jusqu'à en être las et épuisés mais nous nous serions adorés même quand la colère aurait eu raison de nous. Connaissant l'ancien EZ, il aurait tout fait pour me garder près de lui, quitte à m'enchaîner. Notre différence résidait dans la confiance, que je ne lui accordais qu'à moitié, qu'il ne m'incitait pas toujours à lui donner. Nous avions nos défauts et nos qualités, nos mésententes et notre complicité. J'avais l'esprit quelque peu orgueilleux. J'étais obsessionnelle, peu confiante, colérique, irritable et curieuse ( et très légèrement vindicative comparé à EZ). Je ne mesurais pas toujours la portée de mes mots. J'étais jalouse, possessive et exigeante. Je me pensais gardienne de la bonne parole et je manquais de t délicatesse. Je n'étais pas la seule cela dit, Ezekiel a toujours été le garçon qui attirait l'œil. Il incitait les autres à vouloir devenir son ami. Pourtant, il n'était pas particulièrement extraverti, ni bavard, n'avait qu'une poignée de bons amis, et même s'il semblait sympathique derrière ses sourires chafouins ou son masque de mauvais garçon désespéré, qui donnait envie aux filles de le secourir, il n'en manquait pas une pour marquer son territoire. Et son territoire constituait à peu près à une haute forme cylindrique, avec moi pour centre des bases et des rayons d'environ deux mètres. Je l'ai vu faire lorsqu'il pensait que je ne le regardais pas. Je l'ai senti dans l'atmosphère. Je n'ai pas toujours été assez intelligente pour m'en apercevoir mais Dorinda, à qui j'ai raconté quelques anecdotes, m'a fait remarquer quelques évidences. Je réclamais plus quand il était déjà à genoux, face contre terre. S'aimer soi-même avant d'aimer l'autre prenait tout son sens avec EZ et moi. Il avait aussi de gros défauts, il était un peu arrogant, il n'aimait pas que l'on critique ses faits et gestes ou ses choix. Il était cruel, insouciant, rancunier et mesquin.

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