21 - Teenage Dream

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Sofía , 15 ans






— Tu me fais peur, EZ. Tu sais que je n'aime pas les trucs glauques ou flippants.

    J'arrange le jupon de ma robe trapèze unie tandis qu'il m'attend à quelques mètres sur le trottoir.

— C'est tout sauf glauque et flippant, répond-il en m'évaluant des pieds à la tête pour la troisième fois de la journée.

Une moue appréciatrice absolument charmante ponctue sa réponse et ses prunelles pétillantes m'intimident bien plus qu'elles ne le devraient. Être gênée devant mon meilleur ami m'est étranger, c'est EZ, tout de même. Mais je n'y peux rien, mon estomac demeure noué et mon cœur bat fort dans ma poitrine. Vigoureux, puissant, habité d'un sentiment bienfaiteur. Je me sens flotter sur un petit nuage impossible à décrocher des pigments céruléens du tableau que représente notre ciel somptueux.

— J'espère qu'il y fait plus frais qu'ici.

    Ou peut-être est-ce mon trouble qui me donne si chaud.

— Accélère, tu nous fais perdre un temps précieux.

— Eh ! C'est mon anniversaire !

    Il roule des yeux et souffle théâtralement. Je le suis, perplexe, et il ouvre juste assez la porte de l'édifice pour y passer. Il semble y faire noir et seule sa tête dépasse de l'embrasure.

— Accélère.

— T'es sûr qu'on est au bon endroit ? demandé-je, y entrant à mon tour. Qu'est-ce qu'on fait ici ? Ça n'a pas de sens.

    Face à moi, une petite affiche sur les dangers du tabagisme cherche à fuir le panneau en liège sur laquelle elle repose et la fraîcheur du lieu me fait frissonner de plaisir.

— C'est trop te demander de fermer ton clapet, me morigène-t-il à voix basse.

— Et toi de me dire quelle idée saugrenue tu as en tête !

    Il renâcle et m'attrape par le poignet pour me tirer à sa suite tandis que je ravale un gloussement moqueur. Un raie de lumière s'infiltre à travers le vitrail de la petite fenêtre et nous éclaire tout juste. Mon sourire se crispe. Les silhouettes de quelques bancs en bois se dessinent sur le sol en pierre brut et une petite table jonchée de brochures se tient à l'écart. La carrure d'EZ m'empêche d'inspecter davantage notre environnement mais le lieu me rassure à mesure que mes yeux se familiarisent avec l'obscurité.

— Attention, tes pieds.

    Nous ralentissons et je monte deux petites marches avec précaution.

— Tu voulais prier ? Si c'est le cas, je t'en prie. Mais on aurait pu le faire à côté de la maison. Enfin, pouffé-je. Qu'est-ce qu'on viendrait faire ici, t'as prévu de te marier avec le fantôme d'une chanteuse disparue ou quoi ? Un prêtre déguisé en Elvis va se ramener ? Puis tu vas m'emmener jouer au casino à Fort Mohave.

    Doucement, EZ pivote pour me faire face et mon éclat de rire se coince dans ma gorge sous une quinte de toux qui m'arrache de sacrées grimaces. Son sourire est aussi crispé que chacun de ses membres. Le EZ taquin et frimeur a disparu pour me laisser face à cet adolescent presque incertain et vraisemblablement préoccupé par la raison de notre présence ici. C'est presque un nouveau visage que je lui découvre, il a le trac et il en est d'autant plus craquant. Je lui sauterais bien dans les bras, avant de m'enrouler comme un ouistiti autour de son torse, lui glissant plein de baisers sonores sur les joues. Je pourrais rester à l'observer des heures ainsi, tant l'amour et l'admiration que je lui voue surpasse l'entendement, tant le peu de lucidité que je détiens pour nous deux n'est qu'un mirage pour me donner bonne conscience. A côté, la brutalité de nos conflits me semble risible. EZ peut manifester le pire et le meilleur de lui à mes côtés et je peux en faire de même. Mais l'amour est trop immodéré pour battre en retraite face à notre animosité intermittente.

SHOOK ONEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant