Blanche-Neige Online

51. Dans le miroir

C'est moi dans ce miroir, cette... cette femme ? Cette longue robe tombe comme si elle avait été cousue sur mon corps.

Le bustier est brodé de minuscules cristaux noirs et saphirs reflétant la lumière. La jupe est doublée en surface d'une mousseline vaporeuse qui ondule et laisse voir mes jambes par transparence. Si le tissu est bleu nuit sur le bustier, il se décline subtilement jusqu'à devenir clair comme un matin de printemps doré en bas de la traîne. De minuscules fleurs de dentelle et des papillons de cristal multicolores sont cousus sur ce qui ressemble à un champ de myosotis.

— La Maison Rosso a fait de la robe de Blanche-Neige une ode au printemps, me précise Roxanne en apportant une boîte ronde dont elle sort une barrette de cristaux rouges et bordeaux assez imposante.

Elle la place dans mes cheveux sur le côté droit, pour retenir mes longues mèches noires. Les fils de perles en cristal coloré descendent sur mon épaule et rappellent le bandeau à nœud rouge de la princesse du dessin animé. Le rouge profond fait ressortir mes lèvres écarlates. Sur mes bras nus, de petites manches bouffantes décorées de fleurs s'enfilent comme des bracelets sous les épaules. Le travail délicat est digne d'un orfèvre.

Les escarpins assortis sont rouges et parsemés de fleurs elles aussi.

Je ne me ressemble pas. J'ai l'impression de découvrir mon propre corps, que j'ignore si souvent et que je cache sous d'immenses pulls bien trop larges pour moi. Je ne suis pas attentive à mon apparence. C'est bien mon habitude de débarquer en cours à peine coiffée et avec des habits informes. Honnêtement, je m'en fiche un peu d'être jolie ou non. Mon credo, c'est « le confort avant tout ». Les filles de la fac riaient toujours de mes queues-de-cheval ou des crayons piqués dans mes cheveux enroulés pour les faire tenir en chignon, lors des partiels. Réviser me paraissait avoir la priorité sur tout sens esthétique. Moi, je suis moi. Le reste est superficiel, non ?

Mais à présent, dans cette robe de styliste...

Roxanne me sourit, très satisfaite du rendu.

— Il est temps pour Blanche-Neige d'aller croquer de jolies pommes et de faire tourner la tête de quelques princes !

***

Dans les jardins ont été aménagées des tentes blanches et une piste de danse. Des lampions s'allumeront à la tombée de la nuit ; pour l'instant, ils agrémentent les arbres de leur présence colorée. Des serveurs en livrée déambulent entre les invités en robe de cocktail ou en costume sombre.

Roxanne me tient le bras. Elle porte sa robe bleue de Cendrillon. Elle est d'une sobriété fragile et cela ne la rend que plus sublime. Elle n'a besoin de rien d'autre pour se faire remarquer dans toute cette assemblée. Au détour d'un groupe, elle salue Matthias et je tombe sur Rob qui me dévisage en retenant son souffle.

Je fais inconsciemment un pas vers lui, mais Matthias me devance. Laurine me jette un regard interrogatif, en se retenant, mâchoires serrées. Ses yeux bleus brillent d'une sombre colère.

— Je suis l'homme le plus chanceux de cette soirée, décidément ! s'exclame le frère aîné en prenant ma main. J'ai la plus belle cavalière, de toute évidence.

Il fait un geste en l'air avec sa main, et les musiciens démarrent une musique douce.

— Je propose que nous ouvrions le bal, jolie Blanche ! murmure-t-il.

Nous passons tous les deux devant Rob en l'ignorant. La piste de danse se trouve sous une tente dressée devant le château. J'ai l'impression de voir sourire Roxanne, mais elle disparaît aussitôt, me laissant seule avec Matthias au milieu de la foule qui nous observe valser dans ce décor féerique.

Je vois Jay danser avec Stella. Elle lui a sûrement réclamé ses « deux minutes » gagnées au parc. Jay lui apprend à danser et ils finissent par rire aux éclats en bousculant tout le monde. Je crois que Stella lui marche sur les pieds (je me demande si elle le fait exprès ou non) et ça me fait sourire.

Rob fait valser Laurine, sans un regard pour moi. Je le savais. Qu'est-ce qu'une robe et quelques coups de peigne pouvaient changer à la situation ? Je suis bien naïve. Ça a toujours été comme ça. Je suis dans l'ombre des belles femmes. Je m'y étais habituée, mais, ce soir, ça me fait du mal. Je n'aurais pas dû croire Roxanne aussi facilement. Moi, je ne suis que moi. Pourtant, dans les bras de Matthias, je valse et je devrait me sentir comme la reine du bal. Juste pour ce soir, je vais fermer les yeux et me laisser rêver un court instant. Même si Matthias est avec moi par ruse pour énerver Rob, peu m'importe.

Matthias est patient. Il s'adapte à mes pas, moi qui sais à peine danser. Quand il me sourit, j'oublie que je ne fais pas partie de cet univers ; j'oublie que ces dernières semaines ont été éprouvantes pour moi. Il me paraît bien différent de l'homme froid que j'ai croisé en sortant de l'appartement luxueux de Rob, le premier jour. Il est bien plus doux et attentionné que l'image que je m'étais faite de lui. C'est un homme avec un charme profond, même s'il me semble avoir toujours une zone d'ombre en lui. Quand il se penche vers moi pour me murmurer que je suis belle, le trouble que cela provoque en moi est très différent de celui que j'ai eu lorsque Rob m'a fait le même compliment dans le dressing de Roxanne. Je ne suis pas sûre de ce que je ressens à présent, mais je pense toujours à Rob et à ses sourires sur le pont parisien lors de cette première nuit.

Soudain, la musique change et Matthias se tourne vers le couple de son frère et de mon ex-meilleure amie.

— Mademoiselle, dit-il à Laurine, puis-je vous demander de m'accorder la prochaine danse ?

— Avec plaisir, répond-elle. Je ne peux rien refuser à l'hôte de la soirée.

Je me détache de Matthias. Rob réagit immédiatement pour changer de cavalière et m'entraîner dans une nouvelle valse.