Chapitre 1 - Rowena

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— C'était quoi ça ?

Je regarde Sarah, encore perturbée par ma rencontre avec ce fameux Karran. Je suis censée répondre quoi ?
Oh tu sais, il m'a espionnée dans les bains, ensuite il a joué au chevalier servant pour finalement décider de me faire du rentre-dedans. Oh ! Et il est canon ! J'ai adoré, mais jamais je ne l'avouerai.

— Un client de l'hôtel.

Mon amie me regarde, imperturbable. Et pas dupe pour un sou. Jenny et Léa commencent à glousser comme des dindes avant d'éclater franchement de rire. Quelques personnes se retournent dans notre direction.

— Moins de bruit les filles, je marmonne, agacée.

Je les vois se contenir avec difficulté. Elles se rapprochent alors de moi, unies comme les doigts de la main. Je sens que je ne suis pas sortie d'affaire. Pour donner le change, je me saisis de mon linge et m'enroule dedans.

— Il te regardait comme s'il allait te croquer, me lance Léa, la cadette de notre groupe.
— Et toi, tu fondais comme neige au soleil, ajoute Jenny.
— Carrément. Il y avait une telle tension sexuelle, ricane Sarah.
— Vous exagérez toutes, je m'écrie. Et toi Sarah, tu écris bien trop de romance !

Ça m'apprendra à accepter les faux bons plans de mon amie. Cette dernière a gagné un séjour à l'hôtel pour deux grâce à un concours. Ce n'est pas à moi que ça arriverait, une telle chance ! Et comme elle vient de se retrouver célibataire, elle m'a proposé de l'accompagner. Jenny, qui écrit également de la romance, et Léa, plutôt jeunesse, ont décidé de se joindre à nous. Moi, mon truc, c'est le polar. Je suis plus douée pour décortiquer, en mots, je précise, des os humains qu'à draguer des beaux mecs à la montagne. Sarah, en revanche, est assez calée en la matière. Non pas parce que la romance est son genre de prédilection, mais parce qu'elle respire romance. Elle la vit (autant que possible), l'écrit, l'écoute, la regarde. Son deuxième prénom pourrait être Love.

— En attendant, on peut savoir ce qu'il t'a fait pour que tu sois aussi longue à nous rejoindre ? poursuit Jenny.

Vaincue, je rends les armes et leur déballe toute l'histoire. Les filles sont ravies. J'ai l'impression qu'elles vivent ma mésaventure par procuration.

— Il faut absolument que tu le revoies ce soir !

— Jamais !

Je suis horrifiée. Plutôt mourir que d'aller me ridiculiser. Et puis, je ne le connais pas, cet homme. Ce n'est pas du tout mon style de me pendre au cou du premier venu. Enfin même du second, ou du troisième, si je veux être honnête avec moi-même. Pourtant, je ne peux m'empêcher de me dire, en me remémorant mon échange avec lui, que c'était plutôt agréable. Très agréable même. J'ai l'impression d'avoir encore le feu aux joues, fichue peau de rousse ! Non, cet homme avait un petit quelque chose. Autant le premier guignol m'a répugnée, tant son regard était salace et irrespectueux, autant Karran... Mais je secoue la tête. Ce n'est pas mon genre, ce n'est pas mon genre !

— Ce n'est pas mon genre, je répète à voix haute.

— Il n'y a que toi pour refuser une belle partie de jambe en l'air, rigole Léa.

— Mais...

— Avoue au moins qu'il te plaît !

Je me racle la gorge, mal à l'aise. Entre le penser et le dire à haute voix, il y a un monde.

— Un peu tôt pour le dire, non ? Et puis, je ne suis plus tant sûre de vouloir sortir ce soir.

— Tttttt, me coupe Sarah en agitant un index menaçant devant moi. On va passer le reste de l'après-midi à se pomponner, comme c'était prévu. Je te rappelle qu'on avait décidé d'y aller, à cette soirée. Il y aura à boire, à manger et de la musique. Donc, on ira. Tu vas, toi aussi, te faire belle et peu importe ton avis sur la question. Personne ne va te jeter dans son lit, qu'on soit d'accord. Ce qui est sûr, cependant, c'est que tu vas cesser de réfléchir, d'analyser et juste profiter, ok ?

Je reste coïte devant sa logorrhée verbale. Je suis la fille qui ne sort jamais. J'ai une vie privée très prenante et ne communique que peu avec mes semblables. De fait, ce n'est que depuis que j'ai commencé à écrire que ma vie sociale a pris un virage intéressant, au goût d'échanges, de rires et de voyages. Avant... j'avais d'autres priorités. C'est toujours le cas, mais je m'occupe un peu plus de moi.

— Je ne sais pas si je suis capable de ça, je murmure en me passant nerveusement la main sur la nuque.

— Quoi donc ? Profiter ? Ou t'envoyer en l'air ?

— Euh...

Elle me prend de court.

— Je ne répondrai pas à ça.

Léa éclate de rire et Jenny vient m'enlacer. Elle me colle un gros bisou sonore sur la joue.

— Arrête de t'en faire, ma puce. Amuse-toi ! Fait de ce séjour à l'hôtel cette bulle d'oxygène que tu nous as confié avoir besoin et pour le reste...
— Ce qui se passe à Nendaz, reste à Nendaz, assène Sarah avec solennité.

Au secours.

Entre toi et moi à NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant