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« Maman ! Regardes !

Le regard parcourant les quelques vitrines, mon petit bout s'excite des inombrales peluches de la boutique de jouet.
- On peut entrer !

Ayant choisi un jour grisâtre et pluvieux pour sortir, je constate le peu de monde qui parcourt les rues autour de nous.
La boutique elle même semble très silencieuse malgré la petite pancarte sur la porte qui indique son ouverture.
- Si tu veux mon chou...

Prenant par la main mon fils emmitouflé dans son manteau et son écharpe, je pousse la porte vitrée.
La petite clochette au-dessus de celle-ci annonce notre venue et fait relevé la tête de la vieille femme à son comptoir.
Arborant de petites lunettes rondes et des cheveux grisonnants, la femme essuye ses mains comme par reflexe sur le tablier à sa taille et repose la figurine de bois qu'elle venait de polir.
- Bonjour ! Faites comme chez vous !

Son sourire chaleureux acceuille chaque client et invite à prendre ses aises dans la petite boutique artisanale.
Des jouets de bois, des peluches crochetées et quelques livres habillent une étagère pas toute jeune.
Ely semble immédiatement attiré par les petites figurines sur celle-ci.
Des dinosaures, des animaux sauvages ou de la ferme. Un robot par ici, un super héros dont j'ignore le nom par là et quelques creatures fantastiques un peu partout.

- Maman ! Un gros loup !

Amusé par la curiosité de mon fils, la vendeuse s'approche pour se saisir de la figurine, bien trop haute perchée pour la petite taille d'Ely.
- C'est un loup Garou. Tu sais ce que c'est un loup Garou mon garçon ?

Une étrange sensation parcourt mon corps quelques secondes avant de disparaître.
Comme le fils bien éduqué qu'il est, Ely me jette un regard. Je n'ai nul besoin de d'intervenir cependant. Il semble trouver dans mon regard l'assurance qu'il cherchait et répondit enfin à la vieille femme qui lui tendait toujours la figurine.
- Oui. Ça existe pas !

Il saisit doucement le petit jouet de bois et se met à l'observer dans les moindre détails.
- Je l'aime bien... Je peux l'avoir maman ?

Les bras toujours croisés contre mon torse, je laisse mon regard se perdre sur la figurine entre ses doigts. Disproportionnée, trop humanoïde, trop maigre aussi. Définitivement pas réaliste. Mais définitivement plus proche d'un Crinos qu'un lupus.
Je retiens un petit soupir et offre à mon enfant un sourire.
- Bien sûr... Juste lui d'accord ? Tu as déjà beaucoup de choses à la maison...

On ne pourrait pas tout emmener si nous avions à fuir à nouveau..

- Merci !
Souriant de plus belle, Ely se dirige vers la caisse et pose avec joie le jouet sur le comptoir de la vieille vendeuse.
Sur la pointe des pieds et le bras tendu, il présente fièrement celui-ci.
- Je prends Lui !
- Très bien jeune homme ! Très bon choix.

                           ********

Caressant ses cheveux tendrement, j'observe Ely allongé contre moi, le sommeil lourd.
Son souffle calme, son visage paisible et ses petits doigts refermé sur un coin de l'oreiller.
Un sommeil si paisible, nullement perturbé par le monstre à ses côtés.

Mon loup intérieur ne parle pas la même langue que la femme que je suis, il parle la même que la mère en moi.
La protection. Que celui qui ne croit pas en ce pilier des Crinos viennent essayer de me retirer mon fils à nouveau.
À ce moment précis, mon esprit loup n'a jamais été aussi proche de moi. Surveillant ce petit être précieux qui se repose, veillant sur lui.

Rien n'est plus protecteur qu'un Crinos. J'y crois et y croirais toujours.
Peu importe leurs idées reçues, leurs jugements.
Nous sommes beaucoup de choses. Dangereux, instables... Parfois inconscients.
Mais personne n'aime comme nous le faisons, personne ne protège comme nous le faisons.
J'en suis persuadée au fond de moi.

Ou peut-être suis-je entrain d'essayer de me rassurer.
De me convaincre que je ne suis pas une tueuse.
Que ces morts que j'ai provoqué en valait la peine.

Retenant une énième larme de s'en aller, je ferme les yeux.
J'essaye d'oublier ses visages terrifiés. J'essaye d'oublier ces cris que j'ai entendu avant de sombrer.
D'oublier qu'en me réveillant j'avais certes mon fils dans les bras mais les bras plein de sang.

Je ne voulais pas ça. Je voulais mon fils c'est tout.
Je voulais discuter avec eux, les convaincre.
Mes les émotions étaient trop forte.
Comment retient-on ses émotions lorsque la douleur est trop forte, le coeur trop brisé, la peur trop grande.

Trois pays. Nous avons changé de pays deux fois. Deux fois j'avais croisé des lupus. Deux fois ils avaient sentis l'odeur humaine de mon fils. Deux fois ils s'étaient souvenu que les Crinos ne gardent pas d'enfants humains.
Deux fois ils m'avaient signalé au dôme lupin.
Deux fois Alarik Persan m'avait demandé de l'attendre.
Deux fois j'avais fuis lâchement, emportant mon fils avec moi.
Nous voilà donc perdu quelque part en Angleterre.
Troisième pays.

J'avais beau me dire faire la bonne chose, j'avais tué et je le savais.
La hantise de se réveiller un jour sans aucun souvenir de la vie que l'on a ôté. Cette hantise de tout Crinos de causer des dégâts irréversibles. De se faire traquer, de trahir le monde des loups.
La hantise de finir dans les magazines de cryptozoologue persuadé de l'existence du big foot.
D'être responsable de la haine à chaque fois plus grande pour notre espèce.

L'angoisse grandissante en moi agite mon loup et me pousse à serrer mon fils contre moi.
La douleur qui tiraille mon coeur est cependant trop grande et de nouvelles larmes coulent sur mon visage, tombant lamentablement sur l'oreiller.
Pas un jour ne passera sans que je regrette les conditions dans lesquelles j'ai repris mon fils. Sans que je regrette ce sang que j'ai fais couler.
J'avais tué pour mon fils.

Mais autant la mère que la Crinos en moi était d'accord sur une chose.
Si je devais porter ces deuils jusqu'à ma mort, qu'il en soit ainsi.
Mais je tuerai encore pour mon fils...

Mother Où les histoires vivent. Découvrez maintenant