Le jour de la Fin du Monde

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      Pourquoi est-ce que tu pleures, papa? Ta barbe n'est cette fois-ci plus assez épaisse pour dissimuler tes lèvres que tu pinces ensemble. Ton regard m'évite et se veut insubmersible, mais je vois bien que tes yeux sont humides. Et même si le silence scelle ta bouche d'un mutisme de mort, ton expression parle à sa place. Et je sais bien ce que tu penses, car je pense la même chose moi aussi. Mais où est maman?
      Mon père et moi avions trouvé refuge auprès d'un groupe survivant de la catastrophe qui avait détruit notre monde en tout juste quelques heures. Ils faisaient partie de notre ville avant l'effondrement, mais nous ne les connaissions pas. C'étaient eux qui nous avaient emmené dans cette station de métro qui grâce à dieu avait été un toit suffisant pour tous nous abriter. Ma maison me manquait. Il fallait que je me fasse à l'idée que désormais je ne la verrai plus jamais, mais tout de même.. J'étais triste.
      Les premiers temps, il s'était agit de trouver une organisation pour la survie. Christopher, l'un des hommes ayant rejoint la colonie, s'était chargé avec mon père de dresser un camp de fortune avec ce qu'ils avaient pu emmener avec eux dans leur fuite. Ce n'était rien de formidable, mais le confort demeurerait désormais un luxe que peu de gens pouvaient se payer. Rapidement, des palettes s'élevèrent pour former des murs et séparer la station en diverses pièces nous permettant à tous d'avoir un semblant d'intimité. Je dormais avec mon père, les autres s'étaient répartis de leur côté. Fort heureusement, nous n'étions pas nombreux.
Tout d'abord, il y avait mon papa. Son nom était Marc. Il était grand avec une carrure imposante. Son torse était si proéminent qu'il ne parvenait jamais à fermer le dernier bouton de ses iconiques chemises à carreaux. A bien l'observer, il rappelait un bûcheron. Sa grosse barbe qui piquait les joues lorsqu'on l'embrassait n'enlevait rien à cette impression, bien au contraire. Christopher s'était un peu déclaré de lui-même comme le Chef de la colonie. Il était quelqu'un d'organisé et savait donner les bons ordres. Il excellait dans l'art d'optimiser le temps et les actions pour qu'aucune seconde ne soit perdue à quelque chose d'inutile. Avec mon papa, ils formaient un duo très dynamique et actif dans les opérations. Joan était l'unique femme du groupe. Elle savait faire du feu. C'était la tête de ligne lors des opérations menées en extérieur car le talent de manier les armes était le siens. Elle savait non seulement s'en servir, mais également en fabriquer avec tout ce qui passait à portée. J'aimais à penser qu'elle était un officier ou bien une militaire avant tout ça. Nous avions jusqu'ici eu peu de temps pour échanger toutes les deux.
      Pour terminer d'énumérer le groupe, il ne fallait bien sûr pas m'oublier moi. Camille Lamy. Seule et unique enfant de la colonie du métro. Ma chevelure rousse rappelait celle de ma mère, et mes yeux bleus ceux de mon père. Je n'était pas bien grande, même pour une fillette de mon âge. Du haut de mes neuf ans, je ne pesais pas lourd dans la balance du groupe. Souvent, je voyais mes journées se dérouler dans la solitude, tantôt à observer les adultes élever un nouveau chez nous dans cette station, tantôt à larver sur l'une des couchettes à faire la seule chose qui me permettait d'encore passer le temps : Dormir.
      Chaque jour ne voyait pas sa fin arriver. Et les nuits paraissaient également toutes aussi longues. Nos montres s'étant déjà toutes arrêtées, désormais plus aucune notion de temps ne régissait notre vie. Les heures et les minutes avaient laissé la place à une éternité impalpable qu'il aurait été stupide d'essayer de mesurer. Notre seul réconfort était de voir la nuit succéder au jour, et le jour à la nuit. Même si tout bien réfléchis, même cette simple notion restait abstraite étant donné que nous étions enfermés sous terre. Du moins pour moi, car j'étais la seule à ne pas jouir d'un peu de temps à la surface. Ce danger m'était interdit. D'après les autres, j'étais encore bien trop jeune pour prendre de tels risques. Alors je me contentais des lumières de la station dont le grésillement de plus en plus fréquent indiquait que leur lueur de nous tiendrait plus très longtemps.
       Pour ne pas devenir folle, je repensais souvent aux rituels de mes journées lorsque tout ça n'était encore que fiction dans la tête des gens. Le réveil de maman qui sonne pour aller au travail. Le bus scolaire à attendre pour me rendre à l'école. Les copains que je retrouve à la récréation. Les discussions pour débriefer de son weekend. L'école, avec la maitresse qui ne sent pas très bon de la bouche, dont on je ne pense qu'à s'échapper pour aller jouer avec Henri et Laetitia. Parfois à l'épervier. Parfois jusque pour se regarder dans le blanc des yeux. Et quand il se sent de bonne humeur, Henri qui me fait un bisou sur la joue et me prend la main en m'appelant "mon amoureuse". Papa rentre du travail avant maman pour me faire le goûter. Maman rentre tard et me fait un bisou dans mon lit pour me dire qu'elle m'aime. Et on recommence le lendemain. Un quotidien qui me manquait terriblement.
      Aujourd'hui Joan et Christopher s'étaient portés volontaires pour sortir chercher des vivres à l'extérieur, me laissant seule au refuge avec mon papa. Il passa un moment à arranger les quelques babioles que nous avions pu ramener de la surface pour nous meubler. Le monde était à l'abandon là haut et il était devenu facile de s'y servir pour se fournir en un tas de choses utiles. Le plus complexe restait toujours de ne pas se faire repérer par les choses qui avaient remplacé les humains à la surface. Je le regardais donc enchaîner les tâches inutiles, replaçant deux fois la même chaise ou partir dans une direction pour finalement faire volte-face et faire demi-tour vers un nouveau but non moins précis. Il ressemblait à un poisson rouge faisant des ronds dans son bocal pour essayer de donner un sens à sa nage. Mon pauvre papa ce que tu faisais peine à voir.
      Après s'être assuré de bien avoir fais trois fois tout ce qu'il y avait à arranger dans la station, mon père se décida finalement à accepter qu'il n'accomplissait rien d'utile. Il s'assit près de moi, se montrant incapable de m'adresser le moindre mot. Après tout, nous nous retrouvions seul à seul pour la première fois depuis cet affreux jour où nos vies s'étaient écroulées. Le silence rendait l'atmosphère pesante, impression accentuée par le grésillement des néons qui clignotaient à un rythme très irrégulier au dessus de nos têtes. Lorsque mes yeux osèrent enfin s'élever vers lui, ils ne firent face qu'à sa nuque. Il tournait la tête vers mon opposé.
      Pourquoi est-ce que tu pleures, papa? Ta barbe n'est cette fois-ci plus assez épaisse pour dissimuler tes lèvres que tu pinces ensemble. Ton regard m'évite et se veut insubmersible, mais je vois bien que tes yeux sont humides. Et même si le silence scelle ta bouche d'un mutisme de mort, ton expression parle à sa place. Et je sais bien ce que tu penses, car je pense la même chose moi aussi. Mais où est maman? Dans mon lit cette nuit là, j'ai souhaité au plus profond de mon cœur qu'à notre réveil tout ceci n'ait été qu'un horrible cauchemar.

 Mais où est maman? Dans mon lit  cette nuit là, j'ai souhaité au plus profond de mon cœur qu'à notre  réveil tout ceci n'ait été qu'un horrible cauchemar

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La Faucheuse Rousse (réécriture en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant