La Colonie

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      - Allez cocotte un peu de courage, il faut éplucher les légumes !


      Commencer la journée de bonne humeur n'était pas chose facile dans ma colonie. Désormais, puisque l'établissement de notre confort n'était plus la priorité pour nous, j'avais enfin une utilité pour les autres et avait été désignée comme main d'œuvre pour effectuer les corvées pénibles. Ce matin, Christopher m'avait assignée à celle des légumes en compagnie de Joan. Et oui, j'ai bien dis légumes. A quelques rues de notre emplacement, les adultes avaient eu la chance de découvrir un petit potager bordant le jardin d'une maisonnette. Fort heureusement, certaines cultures étaient restées intactes même si la plupart pourrissaient déjà au soleil du fait de ne pas avoir été ramassés. Au départ, je me sentais très surprise de voir toute la nourriture que nous pouvions trouver dans un rayon aussi réduit autour du camp, mais finalement l'habitude se gagna rapidement et monter en récupérer rejoignit le tas des tâches quotidiennes des grands. Les adultes s'étaient attelés à construire un garde manger pour y faire petit à petit des réserves, les obligeant moins souvent à sortir s'exposer aux dangers de la surface. Plus nous l'évitions, plus nos chances de rester en vie étaient hautes. Mais isolés sous la terre, nous devions tout de même nous débattre pour ne pas succomber à la faim et à la soif.
Je me trouvais donc là aujourd'hui, assise à éplucher les légumes avec un couteau de fortune que nous aiguisions de temps à autres sur de la ferraille pour le maintenir coupant. Silencieuses et chacune à un bout de table, Joan et moi accumulions les pelures en son centre. On m'avait demandé de ne surtout pas les jeter car elles seraient plus tard transformées en compost pour entretenir les légumes qui nous nourrissaient. Ce que j'avais horreur de ça. Des légumes. Mais aujourd'hui, il n'était plus question de faire la fine bouche devant son assiette comme lorsque je vivais ma vie de petite fille de neuf ans et que je n'avais qu'à grimacer devant la soupe ou les endives au jambon de mon papa pour ne pas avoir à les manger. Aimer ou non son repas n'était plus une question que l'on se posait quand il s'agissait de survie. C'est ce dont j'essayais de me persuader tous les jours.
      Petit à petit, le tas de nourriture s'accumula devant mes yeux et la crainte de devoir en manger son contenu grandissait avec lui. Mais un gargouillement sourd tordit mon estomac pour me faire savoir qu'il n'était pas d'accord avec ma réticence, produisant le bruit d'un grondement de tonnerre qui brisa le silence de plomb. J'avais terriblement faim. Moi comme les autres d'ailleurs. Il était important de rationner nos vivres pour ne pas tomber à cours. Joan me rassura d'un sourire complice, me faisant comprendre que je n'étais pas seule à sentir un creux dans l'estomac. Et tout à coup le sceau de nourriture nous parut beaucoup plus attirant. Le travail reprit à une allure plus soutenue, toutes deux impatientes de pouvoir nous rassasier.
Alors que nous nous attelions à ramasser les pelures, Christopher apparut dans la pièce munit d'un sceau d'eau presque claire. Les grands avaient réussi à façonner une cuve de récupération d'eau juste à la sortie du métro et nous n'avions qu'à attendre une averse pour qu'elle puisse se remplir. Pour la première fois de ma vie j'étais reconnaissante d'habiter dans une région où il faisait moche les deux tiers de l'année. Mon père m'avait expliqué qu'une fois l'eau passée à bouillir, elle redevenait potable. Je n'en était pas persuadée, mais nous n'avions de toutes façons pas d'autre choix que de nous abreuver à ce qui nous était donné.
      Mon père prépara la tambouille. Légumes à l'eau au programme. Comme presque tous les jours. Mais fort heureusement, il était parfois possible d'ouvrir une boîte de conserve ou deux pour varier nos repas. C'était un rituel que les adultes s'étaient autorisé à me laisser pour me faire plaisir, mais ils étaient plutôt d'avis de manger nos denrées périssables en premier pour ne pas risquer les pertes. Les conserves avaient l'avantage non négligeable de tenir très longtemps, en revanche nous ne croulions pas sous leur nombre. C'était un rare réconfort que l'on gardait surtout pour éviter les baisses de moral.

La Faucheuse Rousse (réécriture en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant