Chapitre 1

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— Tu n'es vraiment qu'un sale connard, Kay Andersen, cracha la fille.

Surpris, Kay ne s'écarta pas suffisamment vite pour éviter la gifle qui envoya sa tête tourner sur le côté. L'expérience se révéla plus pénible que réellement douloureuse, car son assaillante disposait de la force physique d'un chaton. Cependant, les perles de son bracelet s'enfoncèrent dans la chair de sa joue, ajoutant une pointe de souffrance à son embarras.

La fille prit le temps de lui adresser un regard profondément dégoûté, les lèvres pincées en une fine ligne, et s'éloigna sur ses talons hauts, les poings serrés. Elle incarnait la quintessence de la nordique, grande, blonde aux yeux bleus et aussi mince qu'un fil de fer. Son corps était moulé dans une courte robe à paillettes qui s'arrêtait au raz des fesses et ne devait pas lui procurer la moindre chaleur en cette froide nuit d'hiver. Le prénom de cette charmante demoiselle restait un mystère pour Kay. Il ignorait même si elle fréquentait le même lycée que lui. En revanche, il pouvait parfaitement deviner qu'elle était une fille vaniteuse et jalouse et qu'elle n'avait envisagé de s'intéresser à lui que parce qu'il était riche. Sans fausse modestie, Kay s'estimait plutôt pas mal de sa personne, avec ses yeux gris et sa tignasse ébouriffée. Il était cependant parfaitement conscient que son principal atout résidait dans la fortune de ses parents.

— Eh ben, ricana Bjorn, avachi sur le luxueux canapé en cuir à côté de lui. Qu'est-ce que tu lui as fait, à celle-là ?

Kay prit un air indigné et termina son verre à petites gorgées. Cet épisode lui laissait un arrière-goût désagréable dans la bouche que même l'alcool ne parvint pas à chasser. Comment cette fille osait-elle l'humilier sous son propre toit ?

— Mais rien du tout, voyons ! protesta-t-il en déposant son récipient sur une table basse.

En réalité, il n'en avait pas la moindre idée. Oh, il était certainement coupable de quelque chose. Mais de quoi ? Pour le savoir, il aurait dû accorder un peu plus d'attention à cette fille qu'elle ne le méritait. Elle devrait s'estimer suffisamment heureuse d'avoir été invitée chez le grand Kay Andersen ! À supposer qu'elle l'ait été, car le jeune homme n'était pas certain de connaître la moitié des personnes qui se pressaient dans les deux cent mètres carrés du salon en se dandinant au rythme de la musique lancée à plein tube. C'est Bjorn qui avait eu l'idée de cette fête improvisée. Il avait envoyé quelques messages et la foule avait commencé à débarquer quelques minutes plus tard. Heureusement, ses parents ne devaient pas revenir de leur voyage d'affaires avant le lendemain au soir. Kay aurait le temps de faire tout nettoyer discrètement par leur femme de ménage. Anna acceptait toujours de lui rendre service en échange d'un généreux pourboire.

Une très vague mauvaise conscience envoya une pulsion douloureuse dans le ventre du jeune homme. Il l'ignora et se laissa tomber à côté de son meilleur ami.

Bjorn se gaussait toujours tout en marmonnant quelque chose d'incompréhensible qui se perdit dans le vacarme de la musique. Il était encore plus bourré que lui et il était inutile de chercher à trouver un sens dans ses paroles. Cela dit, même en temps ordinaire, sa pensée n'avait rien de très brillante et Kay prenait soin à ne pas l'écouter plus que nécessaire. Et dire qu'il était supposé être son meilleur ami ! Kay se disant souvent qu'il devrait lancer une grande opération de tri dans ses fréquentations. S'il ne l'avait pas encore fait, c'est qu'il craignait tout simplement qu'il ne reste plus personne à la fin. Les gens sans ami craignaient et il était hors de question de faire partie de cette catégorie.

Le jeune homme parcourut la pièce de son regard froid, surveillant ses invités. Le parquet vibrait sous ses pieds au rythme des basses. On se serait cru dans un catalogue d'aménagement intérieur pris d'assaut par une bande de vandales. Le salon spacieux avait été conçu par la meilleure décoratrice intérieure du Danemark payée par sa mère à grands frais, alors qu'elle ne mettait presque jamais les pieds ici, trop occupée par son travail. Les luminaires suspendus et les lampadaires design diffusaient une ambiance chaleureuse qui se reflétait sur les murs aux tons gris pâle et beige. Le mobilier alliait esthétisme et fonctionnalité, avec son grand canapé d'angle et ses fauteuils en velours. Le coin bar aménagé dans l'un des angles était actuellement l'endroit le plus fréquenté de la pièce. Les adolescents les plus branchés de Copenhague y grouillaient comme des cafards. D'autres se déhanchaient au milieu de la pièce au rythme de la musique assourdissante.

Le Roi des Neiges [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant