Le Roi des Neiges [terminée]

Chapitre 23

Kay se retrouva soudain seul, de retour dans la petite salle. Le cadre du Miroir avait disparu avec ses éclats reconstitués.

Le jeune homme se sentit traversé par une tristesse infinie qui lui creusa le ventre. Il avait pris la bonne décision, il le savait. Et, pourtant, il ne parvenait pas à s'en persuader. Il était si douloureux d'être torturé par des sentiments humains.

Des larmes se mirent à couler de ses yeux. Il essuya les premières, surpris. Il n'avait pourtant plus pleuré depuis la nuit de la tempête dix ans auparavant. Il s'en croyait devenu incapable en approchant de l'âge adulte. Ce jour-là, cependant, de véritables torrents se mirent à dégringoler sur son visage jusqu'à s'écraser sur le sol. Il ne chercha bientôt plus à lutter contre ce déferlement. Il ne savait même plus ce qu'il était supposé ressentir.

Le jeune homme sursauta. Quelque chose de glacial venait de tomber de son œil et glissait sur sa joue, emporté par les flots. Il sut de quoi il s'agissait avant même de pouvoir l'examiner de plus près.

Il saisit délicatement l'éclat du miroir entre ses doigts. Il était minuscule une fois hors de son œil. Il était difficilement concevable qu'une miette aussi insignifiante ait pu avoir un tel pouvoir sur sa vie.

Alors que Kay se demandait que faire de cet éclat, il le vit soudain s'effriter et tomber en poussière comme s'il n'avait jamais existé.

Le jeune homme écarta les doigts et laissa lentement son bras retomber le long de son corps. Ses larmes se tarirent peu à peu, laissant des traces salées sur ses joues. Il reste planté là, la poitrine oppressée et l'esprit vide. Il se contentait de respirer tant bien que mal.

Il sursauta soudain en sentant quelque chose d'humide se poser sur sa main pendante. C'était le renard blanc de Sven qui venait de lui lécher la main.

Kay se baissa et posa une main sur sa tête. Sa fourrure était épaisse, douce et réconfortante. L'animal se laissa faire un instant avant de filer en avant. Il se retourna au bout d'un mètre et regarda Kay.

— Tu souhaites que je te suive ? crut comprendre ce dernier.

Le renard leva la queue sans daigner formuler aucune réponse. Il n'était peut-être tout simplement pas capable de parler cinquante langues différentes, contrairement aux corneilles apparemment si supérieures à tout le monde.

L'animal posa son museau le long d'un mur. En s'approchant de plus près, Kay se rendit compte qu'il s'agissait d'une porte dérobée qu'il n'eut qu'à pousser pour se retrouver dans un long couloir. Le renard s'engagea le premier et se mit à trottiner tranquillement devant lui. Personne n'était en vue. Kay n'entendait aucun bruit, comme si le palais était désert. Où en était donc le combat ? Et si... Et s'il était arrivé quelque chose à Sven ? Ce serait de sa faute et il ne pourrait jamais se le pardonner.

— Peux-tu me mener jusqu'à ton maître ? demanda-t-il au renard avec anxiété.

Il ne savait même pas si cet animal pouvait le comprendre. Il n'avait cependant d'autre choix que de le suivre. Ce château était immense.

Le renard s'arrêta soudain devant une porte. Il se posa sur son arrière-train et se tourna vers Kay. Le jeune homme le dépassa et entra. Il était de retour dans la salle du trône !

Gerda et Sven avaient cessé de se battre. Ils se tenaient toujours l'un en face de l'autre, séparés par l'immensité de la pièce dévastée. La boue noire avait reflué. Il n'en restait que quelques flaques éparses que Kay prit grand soin à éviter.

Le roi était debout, la tête basse et une main pressée contre sa poitrine, au niveau de son cœur. Des larmes coulaient sur ses joues. Gerda était tombée à genoux, la tête entre les mains et la face cachée par ses longs cheveux blonds. Kay ne pouvait voir l'expression qui s'affichait sur son visage. Il lui semblait néanmoins qu'elle pleurait, elle aussi. Il n'avait pas envie pour autant d'aller la consoler. Elle n'avait que ce qu'elle méritait, celle-là. Tout était de sa faute. Sans compter qu'elle lui avait menti en se faisant passer pour son ami. Il en était encore ulcéré. Lui qui se flattait pourtant de savoir juger les gens ! Il s'était pourtant fait rouler dans la farine comme un débutant.