Je n'avais jamais porté attention aux signaux de mon propre corps. Ce n'était pas tant son image devant le miroir qui me déplaisait, mais simplement un manque de connexion avec lui, la tête prise dans le brouillard des pensées.
Or, cette nuit-là, une seule émotion à la fois étrange et puissante me traversa tout entière : c'était l'angoisse de ne plus jamais ressentir ma propre verticalité, les pieds ancrés sur cette terre. L'appel en latin avait débuté. La tension se concentra autour du cercle.
Chacun des participants avaient posé un doigt qui se juxtaposait sur la goutte de la tablette ouija. Une fois l'esprit en contact avec le cercle, il était invité à bouger l'aiguille et à se déplacer sur les lettres gravées pour communiquer avec les vivants afin de former des mots et à établir un contact.Le ouija resta statique. Après quelques minutes d'attente, Skoll retira son pendentif couleur rubis et s'en servit comme d'un pendule. Je sursautai lorsque je vis la couleur rouge, identique à la Lune flamboyante qui m'était apparue en rêve.
- Esprit, nous souhaitons t'accueillir parmi nous et communiquer à travers toi. Rejoins-nous sans crainte. Esprits, nous communiquons à travers toi en utilisant ceci, dit-elle en levant la main.
Le pendentif se balança de gauche à droite. Elle fournit ensuite à l'esprit les indications pour communiquer avec nous. Il lui suffisait de le balancer d'avant en arrière pour « Oui », de gauche à droite pour « non » ou en cercle pour « je ne sais pas ».
Cette nouvelle annonce provoqua un froid glacial dans tous les pores de la peau, parcourut les fibres de mes muscles et me glaça jusqu'à l'os. Je ne comprenais rien à la sensation qui m'envahissait.D'un seul coup, ma vue se brouilla. Je fus saisi de fourmillements, suivis d'une décharge froide et intense. Le sang monta à la nuque, envahie par une énergie nouvelle. J'étais là, sans y être, happéepar une force étrangère à moi.Le silence s'installa autour du cercle. Mes paupières se fermèrent, mes yeux révulsèrent dans leur orbite. L'instant d'après, je perdis l'usage de mes sens, et tombai inconsciente.
***
Ce fut la première fois que j'expérimentais ce que j'appellerai bien plus tard mes vertiges. J'ai toujours éprouvé des difficultés à mettre des mots sur cette drôle de sensation. Un jour ordinaire, un dimanche de printemps, si mes souvenirs sont exacts, alors que je devais tout au plus entamer ma dixième année sur cette Terre, je tombai sur un des témoignages qui relatait l'expérience de sortie de corps d'individus tombés dans le coma. Avec mes yeux d'enfants, j'avais été fascinée par ce phénomène quasi inhumain : comme un réflexe l'esprit s'élève au-dessus du lit d'hôpital, et devient le témoin de la scène sous lui.
Puis le voyage vertigineux hors du corps se poursuit vers une source immensément forte de lumière, marqueur temporel de ce voyage. Ces personnes bien que vivant une situation non identique à la mienne, décrivent à peu près une sensation, de dédoublement.
Je me souviendrais toujours de cette sensation de duplication, d'être là sans conscience et sans maitrise, attirée par une énergie extérieure. C'est à peu près la seule façon pour moi de vous décrire, ce que j'ai vécu. A l'époque, sans le croire, je ne réalisais pas que cela faisait partie de moi.La pièce avait changé radicalement de décor, de présence, d'ambiance, le tout confusément.
Mon corps se transporta hors de moi, comme l'on coule doucement dans un abîme, un océan inconnu. J'avais la sensation de perdre pied. Mon pouls s'accéléra, mon cœur sursauta dans ma poitrine. Immobile, je tentai de me rattacher à un repère. Décontenancée, je ne pouvais plus bouger.
Des images tournoyèrent comme dans un manège à souvenirs. La notion d'espace-temps n'était plus. Le flou s'empara de mon corps.Distraitement, le son d'une musique enjouée m'extirpa de la brume, puis s'éleva, de plus en plus fort.
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DELIRIUM
Teen FictionLucille, jeune adulte nantaise débarque dans la vie parisienne. Loin de la vie de bohème qu'elle s'était imaginée, elle fait la rencontre d'un gentleman mystérieux qui prétend détenir les clés de son passé. Une robe couleur émeraude, un message codé...