Prologue

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Cœurs de bombe – Diam's

Tous les mêmes – Stromae

ROSE

Cinq ans plus tôt...

Ces vacances chez mes grands-parents tombent à pic : c'était pile ce qu'il fallait pour qu'on se retrouve, Jean et moi. Après tout, c'est ici que tout a commencé. Ici que nous nous sommes embrassés pour la première fois, et ici que je vais lui annoncer la bonne nouvelle que je viens d'apprendre.

Chez nous, à Paris, c'est métro-boulot-sorties-dodo. Depuis que j'ai obtenu mon diplôme et décroché ce nouveau job, on n'a presque plus le temps de se voir. Jean est absorbé par son travail, lui aussi, et nos amis nous harcèlent pour qu'on aille boire des coups, ce que nous ne refusons jamais.

Si vous connaissez la vie à la capitale, vous vous doutez qu'elle n'est pas de tout repos. Mais je ne la quitterais pour rien au monde. Qui d'autre pourrait se vanter d'avoir une magnifique vue sur la tour Eiffel ? Qui ne rêverait pas de vivre à cent à l'heure ? Comment pourrait-on se passer des balades sur les quais, du patrimoine artistique parisien ou encore de la diversité des gens qu'on peut rencontrer ici ?

Bon, je vous l'accorde, j'ai tout de même le luxe de pouvoir aller au travail à pied. Et du haut de mes vingt-deux ans, je dois dire que j'aime croquer la vie à pleines dents. Mes parents ont flippé lorsque je leur ai avoué que je sortais avec un homme plus âgé. Ils ont cru qu'il allait m'enlever ma jeunesse... S'ils savaient ce que je m'apprête à révéler...

Mais Jean est tout l'opposé de ce à quoi ils s'attendaient. Bien loin de l'image du vieux croûton qui ne veut pas décoller son fessier du canapé, il me couvre de surprises et me gâte sans arrêt. Et puisque nous sommes si heureux ensemble... Pourquoi ne pas concrétiser cette union ?

D'ailleurs, aujourd'hui, je suis justement censée rendre visite à mes vieux. Ils se sont installés dans le Sud après l'accident de ma grand-mère afin de prendre soin d'elle. Mais autre chose m'est venu à l'esprit. J'ai pensé que je pourrais profiter de cette virée en terres vauclusiennes pour préparer une surprise à mon merveilleux petit ami. Et quelle surprise !

Mon cerveau en ébullition m'a conduite dans les petites rues avignonnaises. Le centre historique a toujours été super mignon, avec ses pavés, ses remparts et ses boutiques, aussi charmantes qu'étriquées, d'où s'échappe souvent une odeur de lavande. Le Sud... Il ne fait pas encore assez chaud pour pouvoir entendre le chant des cigales, mais j'imagine que ça ne saurait tarder.

Avec un objectif bien précis en tête, je fonce tout droit vers le lieu où notre histoire a débuté. Ce bar à la devanture en forme d'arc, qui m'a tout de suite attirée la première fois que je l'ai aperçu et dans lequel j'ai rencontré celui avec qui j'ai la chance de partager ma vie aujourd'hui. Quatre ans déjà... Je venais à peine d'avoir mon bac et d'être admise dans une école parisienne réputée.

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été attirée par l'immobilier. Pourtant, ça ne semble pas être dans mes gênes, étant donné que mes parents sont plutôt routiniers. Ma mère n'a jamais travaillé ; quant à mon père, son poste de responsable travaux en mairie lui convenait parfaitement. Pas de challenge, pas de déplacements, seulement un bon boulot qui ne demande pas trop d'heures supplémentaires et qui rémunère correctement. Mais je pense que les vacances que j'ai passées en Provence, avec toutes ces belles villas, ces mas, ces bastides, n'y sont pas pour rien.

Du haut de ses vingt-six ans, Jean, lui, trempait déjà dans la vie active. J'avais postulé à l'époque dans ce bar pour me faire un peu de fric l'été avant de commencer mes cours à la capitale et il en était le propriétaire. Rien que ça. Non, ce n'est pas son métier. Il l'a hérité de ses parents et en tant que commercial dans l'âme, il a réussi à le transformer en franchise qui est aujourd'hui représentée aux quatre coins du pays, avec un concept auquel personne n'avait encore pensé – étrange, me direz-vous – : celui d'un café qui s'adapte à la culture régionale, voire départementale, selon les lieux.

Le sourire aux lèvres en songeant à nos débuts de relation, je me dirige tout droit vers l'échoppe afin d'y trouver – ou plutôt retrouver – la limonade qu'il m'a offerte lors de notre premier rendez-vous et qu'il a ensuite commercialisée sous le nom de Rose des vents. N'est-il pas trop mignon ?

Le bâtiment n'a pas changé d'un poil : les pierres qui le composent, au ton beige-rosé, semblent toujours imbriquées les unes avec les autres, d'une façon spectaculairement symétrique. On dirait que le temps n'a pas d'emprise sur cet édifice. Je me rends compte en observant les cigales en porcelaine collées sur la porte en bois qu'il n'est pas ouvert. Bizarre. Nous sommes pourtant en plein milieu de la journée et les touristes ont envahi les rues en ce week-end prolongé de début mai. Fort heureusement, j'ai toujours la clé, puisque nous passons vérifier que tout se passe bien chaque fois que nous venons rendre visite à ma famille.

Je fouille dans mon sac à main Hermès – cadeau de Jean pour célébrer l'obtention de mon poste de promotrice immobilière – et y trouve rapidement le cordon vert auquel est attachée la clé du bar. Pressée de sentir les effluves familiers d'alcool et de fruits, je l'insère dans la serrure et ouvre la porte d'un grand coup sec.

La scène d'horreur qui se joue alors sous mes yeux me paralyse tellement que je n'arrive plus à parler. J'ai beau ouvrir la bouche, vouloir hurler, aucun son ne sort et je me retrouve clouée sur place. Jean. Jean est là, lui aussi. Mais il n'est pas seul. Non. Il est accompagné d'une autre femme. Une petite blonde encore plus jeune que moi. Mon cœur tambourine si fort contre ma poitrine que je crois qu'il va exploser. C'est ça, oui. C'est une bombe à retardement. Et mes mains deviennent si moites que je lâche tout ce que je suis en train de porter.

Jean met deux longues minutes, qui me paraissent durer des heures, avant de me remarquer. Sa langue est bien trop profondément enfoncée dans la bouche de sa maîtresse pour qu'il daigne s'occuper de ce qui se passe autour d'eux, malgré le vacarme que mes sacs de courses ont produit en s'étalant sur le sol. Néanmoins, lorsqu'il aperçoit enfin mon visage probablement pâle et rempli de larmes, le sien se décompose petit à petit et il repousse violemment sa compagne.

Bien que ma respiration soit totalement coupée, mon corps réussit à se reconnecter à mon cerveau et mon instinct de survie prend le dessus. Je ne le laisse pas s'approcher de moi. Je ne le laisse pas m'expliquer quoi que ce soit. C'est mort. S'il y a bien une chose que je ne suis pas capable d'accepter, c'est le mensonge. Et l'adultère.

Depuis combien de temps me trompe-t-il ? Est-ce qu'il le fait depuis le départ ? Est-ce que j'ai fabulé toute notre relation ? Moi qui rêvais de mariage et d'enfants... Comment ai-je pu être si naïve ! Bordel, que vont dire mes parents ? Autant de questions qui défilent dans ma tête alors que je cours à toute vitesse pour échapper aux griffes de cet imposteur.

J'ai beau souffrir le martyr, comme si on venait de m'arracher une partie de moi, comme si mon monde venait de s'écrouler, mon esprit cartésien refait rapidement surface. Il faut que je vide notre appartement. Il faut que je me trouve un nouveau logement. Il faut que je m'éloigne de lui au plus vite.

Machinalement, je pose une main sur mon ventre et un énième torrent de larmes se déverse sur mes joues. Décidément, rationalité et situation désespérée ne font pas bon ménage... J'en avais presque oublié l'objet de ma venue. Quelle horreur ! Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire ?

En tout cas, une chose est sûre : je suis en train de courir. Je cours sans pouvoir m'arrêter. Je cours sans jamais me retourner. Je cours sans plus entendre ce qui se passe autour de moi, si bien que je n'ai pas le temps de voir le véhicule qui me percute et m'envoie valser de l'autre côté de la rue...

Le mas de l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant