Chapitre 3

4 0 0
                                    


Les lionnes – Yannick Noah

Pressée de vivre – Léa Castel

ROSE

Alors que je me prépare pour aller au boulot, je sens mon portable vibrer dans ma poche. Un texto de Nabil. C'est trop tôt. Bien trop tôt. Même si j'ai adoré la soirée – et la nuit – que nous avons passée ensemble, cela ne change rien à mes convictions et à ma vision des choses : mon jeu, mes règles.

En clair, cela signifie pas d'attachement possible, des partenaires multiples et aucun compte à rendre. Je ne le reverrai que s'il est d'accord avec ça. Et malheureusement, quelque chose me dit que ce ne sera pas le cas. Alors, adieu Nabil, adieu orgasme puissance mille...

Franchement, la vie parisienne, c'est le pied. O.K., je vais au taf en marchant, n'ayant qu'à longer les quais, ce qui oriente forcément mon opinion – je sais que certains se tapent des heures de transport et rien que d'y penser, ça me donne envie de gerber.

Pourtant, j'ai déjà négocié des maisons en expliquant à leurs propriétaires que le trajet ne comptait pas, qu'ils seraient plus heureux ailleurs ou qu'ils devaient revoir leurs attentes. Est-ce que ça fait de moi un monstre ? Peut-être bien...

Arrivée devant l'édifice dans lequel je travaille et qui m'offre une vue splendide sur la tour Eiffel, je croise des collègues que je prends à peine le temps de saluer. En bon ovni qui se respecte, j'ai beaucoup de mal avec les relations sociales. C'est vrai qu'à Paris, s'il y a bien une chose que je déteste, c'est qu'en ce qui concerne les gens, tout est faux. Absolument tout. Des sourires jusqu'aux poitrines. Et si vous ne rentrez pas dans les clous, je vous laisse imaginer ce que les gens disent de vous... Enfin, j'imagine que c'est encore pire dans les petits villages où tout le monde se connaît !

Heureusement, personne ne se trouve dans l'ascenseur et je peux enfin respirer. L'odeur de tabac qui se dégageait du patio m'a donné la nausée. Pourquoi les gens doivent-ils se tuer à petit feu comme ça ? Bon, je vous l'accorde, l'alcool n'est pas forcément mieux... Mais quand on ne boit pas tous les jours, je dirais que ça passe. Pas vrai... ?

Sur mon bureau, en plus des habituels dossiers en retard qui traînent et des photos de Yasmina, mes parents et mon frère, je trouve un Post-it de Frédéric intitulé « urgence ». Comprenant qu'il faut que je le rejoigne, je me dépêche d'enlever mon caban et file directement dans la petite salle de réunion dans laquelle mon boss, l'archétype du quinquagénaire parisien en costard cravate, m'attend.

— Rose, enfin, te voilà ! m'interpelle-t-il de sa voix haut perchée.

À voir son visage blême, j'ai l'impression que la fin du monde est proche, ce qui n'annonce rien de bon. J'ai vraiment peur de ce qu'il va me demander.

— Je suis là, Fred. Qu'est-ce qu'il se passe ?!

— C'est... Comment dire... On a besoin de tes talents de négociatrice...

— Bien. J'ai l'habitude, je lui réponds en haussant les épaules. Où est-ce que je dois me rendre ?

L'avantage de mon métier, c'est que je peux voyager tous frais payés. Dès que notre entreprise trouve des endroits intéressants dans lesquels investir – c'est-à-dire des lieux pour lesquels elle parie sur un développement futur et d'énormes gains à la clé –, on m'envoie négocier avec les habitants et je reviens toujours avec des promesses de vente.

Ma plus longue mission s'est déroulée à Lille. Elle a duré plus de quatre mois, les résidents ne voulant pas lâcher l'affaire. Fort heureusement, nous avons fini par trouver un compromis et je suis revenue gagnante.

D'ailleurs, mon salaire a largement augmenté suite à ce périple et j'espérais secrètement que quelque chose de similaire se produirait de nouveau. Il faut bien que je mette de côté pour ma retraite...

— Mouriès... En Provence... chuchote Fred avec un sourire ultra faux.

— Hors de question.

Malgré la déception qui doit se peindre sur mon visage et l'indignation qui danse probablement dans mes yeux, Fred ne se laisse pas démonter.

— Rose, je sais que tu as mis ton veto sur le Sud. D'habitude, nous envoyons Sandra... Mais elle est revenue bredouille au bout de deux mois. (Il pince les lèvres puis joint ses mains, comme pour me supplier.) Elle ne tient pas sur la longueur... Elle n'a pas ta force de caractère. Et puis, ce n'est pas moi qui décide...

C'est ça, cause toujours !

Mon boss fait le mielleux avec moi pour m'amadouer. C'était pourtant parfaitement clair. Partout. Je vais partout sauf en région P.A.C.A. Il était prévenu depuis le départ. Nous avions un accord. Pourquoi me met-il devant le fait accompli comme ça ?

— Ce sera l'occasion de voir tes parents, reprend-il de sa voix la plus douce.

— C'est non, Fred.

— Écoute, je ne fixe pas les règles. Certes, on avait passé un marché, mais il s'agit là d'un cas de force majeure. Et si on ne signe pas ce contrat, nos deux têtes risquent de tomber !

Même si je suis persuadée qu'il joue la comédie, Fred semble réellement apeuré, son pied bat la mesure et ses yeux fixent son bureau. Le voir triturer ses doigts commence aussi à m'inquiéter.

— Je ne peux pas retourner là-bas... Tu te rappelles l'état dans lequel j'étais la dernière fois que j'en suis revenue ?

— Comment pourrais-je oublier un arrêt de travail de deux mois ? Je m'en souviens comme si c'était hier... Et je ne t'ai rien dit alors que tu venais tout juste de débuter. J'ai cru en toi et tu ne vas pas me lâcher maintenant, Rose.

— Mais... je tente de me justifier, horrifiée d'entendre de telles paroles après ce que j'ai vécu à l'époque.

Submergée par une terrible anxiété, ma gorge se serre et mon estomac se noue, si bien que j'en perds mes mots en même temps que mes moyens. Je ne veux pas. Je ne peux pas retourner là-bas. Mon pouls s'accélère parce que je sais pertinemment ce qu'il va me répondre, mais j'ai bien trop peur d'entendre ce qui va sortir de sa bouche. Et en effet, le couperet tombe avant même que je réussisse à argumenter.

— Pas de mais. Tu y vas ou c'est la porte. Si tu ne veux pas y rester longtemps, charge à toi de réussir ta mission en quelques jours.

Tout en me lâchant cette bombe, mon boss se lève et file dans son bureau, me laissant clouée sur place, tant surprise que folle de rage.

Comment ose-t-il me traiter de cette façon après tous les services que je lui ai rendus, après toutes ces heures que je n'ai pas comptées, après toutes ces missions que j'ai exécutées avec brio ? La colère me brûle le ventre et j'essuie mes larmes d'un geste rageur. Il ne perd rien pour attendre, celui-là !

Franchement, cette boîte part en vrille. Mais je l'aime tellement que je ne peux pas la laisser dériver... Je lui ai tout donné. Absolument tout. D'ailleurs, un jour, j'escompte bien prendre la place de Fred et rendre cette entreprise meilleure en tous points. Enfin, pour ça, je vais d'abord devoir me confronter aux démons de mon passé. Et je ne sais pas si je suis prête à les affronter...

Le mas de l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant