La Guirlande | 4 décembre

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4 décembre
L'humilité

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Quelle sensation étrange que de marcher en compagnie d’autres gens ? Le groupe était sorti du QG pour aller se balader sur les terres de Modavara, entraînant Amaël dans son sillage, qui avait terriblement envie de râler pour la forme. Son bonnet de Père Noël enfoncé sur la tête, les deux bras emprisonnés par Pingouin et Julia qui le tiraient pour avancer, il se mit peu à peu à divaguer tout en continuant de marcher.

Les questions se bousculaient dans sa tête : quelle était cette communauté si accueillante ? Lorsqu’il avait décidé de couper la Guirlande, emporté par sa colère, il n’avait espéré rien d’autre qu’une simple remontrance. Bon, vu l’importance que ces fous semblaient accorder à cette décoration pas si spéciale que ça, il aurait carrément pu se faire virer. Pas top, ce genre de remarques, sur un rapport de stage, dirions-nous. Mais contre toute attente, les modérateurs, qui jouaient le rôle de tuteurs, avaient décidé de lui donner ce challenge un peu étrange.

C’était vrai que recevoir un bulbe était marrant. Une fois, ça fait sourire. Mais après, c’est stop ! Pas besoin d’illuminer quinze mille leds pour sentir le pouvoir de l’amitié ou la magie de Noël. Sérieux, on n’est pas dans un film cucul la praline.

— Tu veux de la praline ?

La voix, sortie de nulle part, le tira hors de ses pensées.Il observa son interlocuteur, qui était sensiblement en train de se faire un petit goûter chocolaté. Son regard se posa sur la plaque de cacao praliné qui avait été sérieusement entamée, puis sur le visage de ce qui s’avéra être une interlocutrice.

— Je suis Laetitia, enchantée, glissa-t-elle avant de reprendre un morceau de chocolat. Je ne te serre pas la main pour des questions pratiques.

Amaël lui jeta un regard dégoûté. Qui était cette personne qui osait lui adresser la parole la bouche pleine, sans aucune considération pour son hygiène et ses exigences personnelles ? Il n’en savait rien, mais ne put s’empêcher de l’observer de manière condescendante. Il avait peut-être brisé une satanée Guirlande sans valeur, mais cela ne semblait finalement être qu’une preuve supplémentaire de sa supériorité. Après tout, il n’avait pas besoin des autres.

Il se sentit fier un instant, porté par ces pensées. Mais quelques secondes plus tard, la réalité le heurta en pleine poire, ce qui le fit soudainement se sentir comme une marmelade trop mélangée.

— On veut bien te donner cette seconde chance, parce que les modérateurs nous font confiance. Et puis, on essaie de croire en toi, résonna tout à coup la voix de Fée, qui avait ralenti le pas pour être au niveau d’Amaël. Mais ici, il n’y a pas de classement, de caste ou de rang. Nous sommes différents, pas concurrents.

Amaël haussa les épaules. Si ses années de solitude lui avaient bien appris quelque chose, c’était que l’homme était toujours la proie ou le prédateur, dans n’importe quelle situation. Et que s’il voulait survivre dans la jungle humaine, il lui fallait être au-dessus, constamment. Bon, il ne vivait pas en Amazonie. Mais franchement, c’était partout pareil : un ego bien boosté permettait toujours d’avancer !

Du moins, c’était ce qu’il croyait. Le regard gêné des quelques membres de la communauté qui avaient entendu la conversation semblait tout à coup tout à fait oppressant. Mince alors, il savait pourtant parfaitement s’exprimer !

Mais alors qu’il allait commencer un monologue sans doute bourré de narcissisme, on l’arrêta bien trop rapidement.

— Amaël, tu aurais dû laisser ton orgueil chez toi avant de venir, souffla un des membres en essayant de rester discret. La vanité ne mène à rien, surtout ici. Alors, essaie de lâcher un peu cette position de supériorité et suis-nous, simplement ! Promis, ça ne sera pas dégradant.

La promesse de son interlocuteur frappa Amaël sans réfléchir. Il n’avait pas besoin de changer son comportement, pas vrai… ? Le doute se fit pourtant ressentir. C’était vrai que l’humilité n’était pas son point fort. Il continua de marcher en essayant de visualiser ses actions et ses paroles. Ok, d’accord il était parfois vachement condescendant.

Mais en étant totalement embourbé dans ses pensées, Amaël se fit un croche-pattes tout seul avant de perdre l’équilibre soudainement. Des bras furent là pour le rattraper ; à qui étaient-ils ? Il observa ses sauveurs un instants - car il y avait une sorte de boue par terre, et il n’avait pas trop envie traîner dedans. Ce n’était pas souvent, que quelqu’un l’empêchait de tomber en le tenant ainsi… Attendez, quoi ? Lui, Amaël, le solitaire indépendant, dépendait de quelqu’un pour une fichue flaque de boue hivernale ?

Il eût tout à coup l’envie de se débarrasser des mains qui le tenaient pour ne pas qu’il glisse. C’était tentant, de repousser tout le monde ! Après tout, il savait comment se sentir comme le meilleur, et ce n’était clairement pas en s’entourant de personnes idiotes.

Mais contre toute attente, il tomba soudainement dans la flaque de boue. On l’avait lâché. Avait-il parlé à voix haute ? Oups.

Les mains salies par le contact avec le sol - il s’était rattrapé tant bien que mal - Amaël semblait tout à coup terriblement honteux. Ce n’était effectivement pas très sympa, cette condescendance. Il le savait. Alors pourquoi avait-il continué ? L’habitude, peut-être ? Ou bien la volonté de croire qu’il valait quelque chose ? Il n’en savait rien. Mais là, les mains dans la boue hivernale et les pieds cradossés, il se sentait vivre quelque chose de nouveau ; quelque chose sous ses paumes semblait grouiller, faisant vibrer la neige sale qui se tenait à ses pieds.

Puis, les flocons qui s’étaient amassés sur le sol devinrent peu à peu une sorte de toile tissée, empreinte de gel. Il vit se former une forme de sculpture, plus ou moins ronde, qui se solidifia ensuite. Un nouveau bulbe.

— Cette lumière blanche, elle est là pour te rappeler qu’Aidons-Nous n’est pas là pour se mettre en avant et frimer, intervint une voix bienveillante dans son dos. C’est bien d’être fier de ce qu’on est ou de ce qu’on fait. Mais descendre les autres, juste pour le plaisir de mieux les juger…. Ce n’est pas ce qu’on cautionne.

Amaël sentit une tape sur son épaule alors qu’il admirait le bulbe qui s’était matérialisé dans ses mains. L’humilité… Quelle drôle de sensation. Voilà qui changeait de ses petites manies autocentrées. Et pour être honnête, ce n’était pas si désagréable.

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{ -PIANISSIM0TS-, modératrice }

L'Histoire Secrète de la Guirlande aux Mille CouleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant