La Guirlande | 11 décembre

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11 décembre
L'encouragement

*

Un reste de sommeil pesait encore sur ses paupières. Pourquoi est-ce qu’il se levait à une heure pareille ? Pourquoi est-ce qu’il devait commencer à la même heure en devant marcher deux fois plus ? La vie était décidément injuste pour les stagiaires.

— Demain, lui avait-on dit, tu pourras faire quelque chose de facile et te rendre utile. Tu iras au Laboratoire Culinaire Bis d’Aidons-Nous. Tu verras, c’est un petit local très discret. Nous l’avons aménagé en bordure de la forêt, dans une ancienne cabane de charbonnier abandonnée. Tu n’as qu’à suivre la rivière jusqu’à la croix sur la carte que je vais te donner.

Sur le moment, Amaël n’avait pas été mécontent de changer de décor pour une journée, mais un petit détail avait tout changé. Alors qu’il allait prendre une nuit de sommeil bien méritée, il s’était fait attraper à la sortie du QG :
— Au fait, ce serait sympa que tu te charges aussi d’amener un petit peu de matériel dans le laboratoire. Il faudrait deux bouteilles de Pschitt-pshitt™ et un paquet d’éponges.

Il avait attrapé tout ça dans un carton ouvert près de l'entrée et était reparti avec.

C'est donc en traînant les pieds qu’Amaël s'y rendait ce matin-là. Il rumina tout le long du chemin, écrasant l’herbe gelée qui semait sa dentelle sur le bord du sentier.

Il sentait venir d'ici l’affreuse corvée vaisselle ou le terrible nettoyage de four : pourquoi est-ce qu’on lui aurait confié deux bouteilles de détergent et des éponges neuves, sinon ? Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Ses bras étaient endoloris et ses doigts engourdis par le froid voyaient apparaître de petites engelures qui n'allaient pas être bon d'exposer aux produits nettoyants.

Parvenu devant la cabane qui servait de camouflage au laboratoire culinaire bis d’Aidons-Nous, il eut un moment d’hésitation. Ce n'était qu’une masure de brique noircies par le temps et l'humidité et de planches rongées par la mousse et le lierre. Il devait se tromper. Il vérifia une dernière fois. Mais non, la carte indiquait bien ici. Il poussa donc la porte sans grande joie.

Une douce chaleur, diffuse, réconfortante et apaisante enveloppa Amaël dès qu'il pénétra dans une grande pièce où s'affairait une unique personne, qui disparaissait dans un tablier neuf blanc immaculé et une toque usée, enfoncée jusqu'aux yeux, qui avait aussi dû être de la même couleur. Cette personne lui adressa un signe de tête et un large sourire.

— Salut ! Tu dois être Amaël, hein ? Pose tout ça à l'entrée, c’est très gentil. Tu es là pour que je t’aide, c’est ça ?

Amaël fut un peu déstabilisé par la question. Ce n'était pas comme cela qu’il voyait les choses se présenter.

— Je… je crois que je suis là pour t’aider aussi. Je dois faire quoi ? Et tu…

— Super ! le coupa le cuisinier en sautillant d’un air surexcité. Bon, je t’explique ce que je fais ici : j’invente des recettes pour régaler la communauté d’Aidons-Nous ! La plupart sont des échecs, mais il y en a bien une qui fonctionnera ! Et ça ira sans doute mieux avec quelqu'un pour me donner son avis sur mes prototypes de sablés de Noël.

Le stagiaire retint une grimace. Il allait servir de cobaye ? Il aimait bien les gâteaux, mais quelque chose le dérangeait dans l’idée de tester des produits qui n’étaient peut-être pas au point. Il en préférait presque la vaisselle. Mais il sentait sur lui le regard insistant du cuisinier, si perçant qu’il lui semblait le découper de part en part.

— Allons-y, souffla-t-il.

Son compagnon de la journée n’attendait que cela. D'un geste théâtral, celui-ci sortit des grandes plaques de cuisson couvertes de « sablés de Noël ». Si l’on pouvait vraiment donner ce nom au curieux tas de pâte carbonisée ou vaguement colorée qui s'étalait en petits aplats incongrus sur le papier sulfurisé.

L'Histoire Secrète de la Guirlande aux Mille CouleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant